Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de nous dès que nous jetons les yeux sur le paysage retracé par Rembrandt ; la rêverie nous envahit, comme si la voix d’un guide invisible murmurait à notre oreille une formule d’initiation. C’est pourquoi les paysages de Rembrandt passent à bon droit auprès des esprits éclairés pour de véritables poèmes, car la pensée n’y tient pas moins de place que l’imitation de la nature. Ils parlent vivement aux yeux et ne parlent pas moins vivement à l’intelligence ; or c’est à cette double condition que les œuvres du ciseau et du pinceau prennent rang à côté de la poésie. Quelle que soit la diversité des procédés, toutes les formes de l’imagination doivent se proposer l’émotion comme but suprême : la mélodie des vers, l’éclat de la couleur, la pureté des contours, ne sont que des moyens pour l’artiste vraiment digne de ce nom. L’art ne s’adresse à l’oreille ou aux yeux que pour atteindre l’intelligence. C’est ce que Rembrandt avait parfaitement compris, comme le prouvent toutes ses œuvres.

Quel rang faut-il assigner à Rembrandt dans l’histoire de la peinture ? Cette question serait difficile à résoudre et peut-être insoluble, si l’on voulait tenir compte de tous les genres de mérite ; mais elle se simplifie singulièrement dès qu’on la ramène à des termes plus précis. Il y a en effet deux manières d’envisager les maîtres de toutes les écoles : le côté général ou purement intellectuel, et le côté technique ou relatif aux procédés de l’art. Si je voulais assigner le rang de Rembrandt en n’examinant que le côté intellectuel de ses œuvres, je me trouverais fort embarrassé, car j’aurais devant moi des hommes nombreux, d’une valeur considérable, qui, sous le rapport de l’intelligence, ne lui sont pas inférieurs. La question posée en ces termes serait de nature à décourager les plus hardis ; à proprement parler, elle serait sans issue ; aussi je me hâte de la transformer, et voici comment je la pose : quelle est la valeur de Rembrandt dans l’emploi des procédés techniques de la peinture ? La question ainsi simplifiée, je ne la crois pas difficile à résoudre. Il suffit de jeter un regard général sur l’histoire de la peinture. Trois maîtres souverains dominent dans l’expression de la forme par la couleur : Léonard de Vinci, Michel-Ange et Raphaël ; deux maîtres moins savans, mais non moins habiles, viennent après eux : Titien et le Corrège. Après les maîtres italiens que je viens de nommer, Rubens est le seul qui exprime une manière nouvelle, et après Rubens je ne vois que Rembrandt qui donne à la peinture un aspect inattendu.

Michel-Ange représente la science sous sa forme la plus absolue. Bien qu’il ait montré dans la voûte de la chapelle Sixtine une grâce, une délicatesse, une suavité que les admirateurs les plus fervens de ses œuvres précédentes n’eussent pas osé prévoir ; bien qu’il ait traité les premiers chapitres de la Genèse avec une élégance que Raphaël n’eût pas dédaignée, à ne considérer que l’ensemble de son talent, il