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Ces brusques changemens, si préjudiciables aux intérêts des colons et à ceux de la France, désolaient Champlain. Il s’en plaignit à Richelieu, qui organisa la compagnie des Cent Associés et concéda à ceux-ci, à perpétuité, la Nouvelle-France et la Floride, « à la réserve de la foi et hommage au roi et de la nomination des officiers de la justice souveraine, lesquels devaient être présentés par la compagnie, mais confirmés par la couronne. » C’était ce même principe des associations particulières déjà mis en pratique par lui-même dans l’île de Saint-Christophe, en 1625. En l’appliquant sur une plus grande échelle par son acte de 1628, Richelieu traça le plan que suivirent plus tard les puissantes sociétés des Indes, et dont la compagnie anglaise a su tirer un si admirable parti.


II

L’enfance de la colonie avait duré tout un siècle, et à mesure qu’elle grandissait, les obstacles naissaient autour d’elle. M. de Monts avait abandonné l’Acadie après le retrait de son privilège. « Il tourna entièrement ses vues du côté du Canada, où deux motifs le firent persister dans ses projets, dit M. Garneau : l’augmentation des possessions françaises et l’espoir de pénétrer quelque jour par le Saint-Laurent jusqu’à l’Océan Pacifique et de là en Chine. » C’étaient là de beaux rêves ; mais pour les réaliser il eût fallu jouir d’une longue paix. On avait fait un grand pas dans la colonisation ; la compagnie des Cent Associés comptait parmi ses membres le cardinal Richelieu, le maréchal d’Effiat,le commandeur de Razilli et Champlain, sur qui reposait son avenir. Peu s’en fallut cependant que le Canada, envahi par les Anglais sans motif légitime, ne fût une fois encore abandonné, après que le traité de Saint-Germain-en-Laye l’eut rendu à la France. Dans cette guerre inattendue qui avait livré momentanément à l’Angleterre la Nouvelle-France et la ville de Québec, les huguenots français avaient pris parti pour les ennemis de leur nation. Cette conduite blâmable à tous égards exaspéra Richelieu ; il interdit le séjour de la colonie entière à tous ceux qui professaient la religion réformée[1]. Ce fut à cette époque que l’on donna le nom de Nouvelle-France aux pays de l’Amérique septentrionale occupés par nos colons ; ce nom s’appliquait à l’immense contrée qui embrasse la baie d’Hudson, le Labrador, la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, le Canada et une partie des provinces septentrionales des États-Unis. Lescarbot, que nous avons déjà cité, disait dans ses Mémoires : « Notre Nouvelle-France a pour limites, du côté de l’ouest, les terres jusqu’à

  1. Bientôt après, les colonies anglaises, effrayées de l’influence que les jésuites prenaient sur l’esprit des sauvages, défendirent, sous peine de mort, à tout prêtre catholique de s’établir sur le territoire de la Nouvelle-Angleterre.