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l’Histoire du Canada dans la partie de son travail qui se rapporte aux événemens récens. Ce que nous avons cherché dans ce précieux ouvrage, c’est l’histoire des Canadiens, des premiers colons établis sur les bords du Saint-Laurent, depuis le commencement du XVIe siècle jusqu’à l’époque de la prise de Québec. La France ne peut refuser ses sympathies à ceux qui furent ses enfans et semblent l’être encore ; mais elle a dû forcément demeurer neutre dans les querelles qui ont surgi, depuis 1763, entre les colons anciens et le gouvernement nouveau qui les régit. L’auteur de cette histoire semble s’être proposé de mettre complètement en lumière tous les titres qu’ont les Canadiens aux égards des nations de l’Europe. Il a gardé le culte d’un passé glorieux, et il se montre le champion du parti français. Il lutte avec énergie et conviction en faveur des libellés que ses pères ont sauvées du naufrage de leur nationalité, et cette noble cause, il la défend avec l’énergie d’un Canadien de vieille souche. Il y a peut-être à la surface de ses idées une certaine ébullition, une ardeur gauloise qui va jusqu’à l’entraînement ; il a lu beaucoup, et ses citations feraient supposer qu’il n’est pas assez en garde contre l’exagération et l’emphase de certains écrivains déclamatoires, Raynal par exemple. Cependant, sur les questions fondamentales, il a des jugemens solides et empreints d’impartialité ; aussi son livre est-il beaucoup meilleur qu’on ne le supposerait à première vue. Ce qui lui donne une véritable importance, c’est l’abondance des documens qu’il renferme. Un pareil ouvrage mérite d’attirer notre attention, car il retrace (plus complètement qu’on ne l’avait fait jusqu’ici) une grande et belle page de notre propre histoire. En le lisant, on est ému ; il semble qu’une voix fraternelle nous dise avec l’accent d’un reproche tempéré par l’affection : « Depuis un siècle, nous sommes séparés de vous, et nous sommes restés ce que nous étions ; vous nous avez abandonnés, puis oubliés, et nous n’avons cessé de penser à la patrie, de l’aimer et de tourner nos cœurs vers elle. » Enfin on éprouve quelque chose de cette surprise agréable et triste dont on est saisi quand on entend parler français en débarquant à Québec.

Lorsque le Canada tomba aux mains de l’Angleterre, il ne comptait pas plus de 60,000 habitans[1]. Durant deux siècles, il eut à lutter tantôt contre les Indiens, tantôt contre les colonies voisines, et ne reçut que rarement les secours dont il avait besoin pour assurer son entier développement. L’émigration ne vint point ranimer, à des intervalles réguliers, ses forces épuisées ; à peine si quelques milliers de laboureurs, pris dans l’intérieur de la France, se groupèrent autour des Normands, des Basques et des Bretons qui formaient le noyau de la colonie. Ce petit peuple de pêcheurs et de fermiers

  1. Aujourd’hui le nombre des Canadiens s’élève à 700,000.