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doute dans la pensée de personne d’enfermer notre action dans les étroites limites de la Méditerranée. Ce jour-là, je demande qu’on n’oublie point l’archipel si intéressant des Carolines.

En dépit de l’attrait que devait nous inspirer cette phase toute nouvelle de notre campagne, nous ne pouvions nous empêcher de maudire les délais qui nous retenaient à Oualan. Le 28 mars enfin, une légère brise d’ouest s’éleva du fond de la baie. J’allai immédiatement dans ma baleinière observer quel vent soufflait dans lapasse. La houle était à peu près tombée, et en dehors des récifs la brise variait du nord-nord-est au nord-est. C’était un moment précieux à saisir. En quelques minutes, nous fumes sous voiles ; nos quatre embarcations nous remorquaient avec ardeur, et la marée nous était favorable. C’est ainsi que nous nous engageâmes dans la passe. Un instant la brise nous manqua complètement, nos huniers s’affaissèrent lourdement le long des mâts. La marée et l’effort de nos canots nous soutenaient à peine contre la houle. Tout à coup la brise qui régnait au large frappe nos voiles hautes, nos vergues sont rapidement orientées, et la corvette s’élance en avant ; mais sa proue est tournée vers le récif du sud. La vague déferle en mugissant sur ce banc de madrépores dont nous nous sommes déjà rapprochés. Toutes les manœuvres que l’on pouvait exécuter sont faites ; il faut en attendre le résultat. Un profond silence règne à bord de la Bayonnaise. Notre inquiétude est déjà dissipée : la corvette s’est rangée au vent, et, comme un dauphin qui fend l’onde, elle plonge gaiement sa proue dans l’écume qu’elle soulève. Les derniers écueils sont bientôt derrière nous, et nous voguons sans crainte sur une mer profonde.

Notre traversée de retour fut aussi rapide que notre voyage de Manille à Oualan avait été pénible et contrarié. Quelques jours après notre départ, nous passions entre les îles de Rota et de Guam, nous coupions la chaîne des Basais le 12 avril, et le 17 nous jetions l’ancre sur la rade de Macao.


II

Pendant les trois mois que nous avions employés à parcourir l’Océan Pacifique, une date mémorable prenait place dans les annales du Céleste Empire. Les premiers Chinois qui montèrent à bord de la Bayonnaise nous étonnèrent par l’apparence insolite de leur crâne ; le rasoir avait respecté leurs cheveux depuis plus d’un mois. La dynastie tartare était-elle donc descendue du trône ? Les fils de Han se préparaient-ils à reprendre cette antique coiffure dont le sabre des Mantchoux avait exigé le sacrifice, et dont on ne trouvait