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ne se lassa jamais de lutter contre les rigueurs du climat et les difficultés de sa position. À force de persévérance et de valeur, il conquit un vaste territoire qu’il eût été du devoir de la France de peupler. La place était prête ; les émigrans n’avaient qu’à venir s’installer sur des terres débarrassées d’ennemis. Les premiers colons avaient fait leur devoir de pionniers. Le Canadien fut dès le principe entreprenant et avide d’aventures ; la nécessité le rendit industrieux ; le travail le maintint probe et honnête ; la guerre développa en lui des instincts belliqueux jusqu’à l’héroïsme. Fidèle à son pays, dont elle eut plus d’une fois à se plaindre, la nation canadienne ne ressentit jamais, à aucune époque, cette jalousie secrète qui pousse les colonies à l’indépendance ; elle resta européenne par l’esprit en face des États-Unis émancipés, l’Angleterre même eut à se féliciter de sa loyauté. Le sentiment de répulsion pour le vieux monde, qui s’appelle ; de nos jours américanisme, ne germe point dans le cœur des Canadiens, et quand même leurs voisins leur en feraient un reproche, nous devons leur en faire un mérite. Absorbés dans les flots croissans d’une population imbue d’idées nouvelles et qui leur est peu sympathique, ils sont ombrageux à l’endroit de leur nationalité effacée. Que les États-Unis prennent un accroissement gigantesque et rêvent des destinées merveilleuses, que l’Angleterre étende sa domination au fond des contrées asiatiques, — le Canadien ne saurait s’associer intimement et avec enthousiasme à ces triomphes de la race anglo-saxonne. Il a son patriotisme à lui, l’amour de sa nationalité, la fierté innée chez les descendans de ceux qui fondaient sur un continent inconnu la Nouvelle-France. À travers tout le pays qui porta ce beau nom et jusqu’aux bords de l’Océan Pacifique, il existe encore des hommes hardis, aventureux, hospitaliers aussi, de mœurs simples et naïves, qui, devenus habitans des solitudes américaines depuis des générations, n’entendent point prononcer sans tressaillir les douces appellations de la patrie. Remercions donc M. Garneau d’avoir retracé les annales de ce peuple sorti du milieu de nous. De l’immense territoire où flotta longtemps notre pavillon, il ne nous reste rien aujourd’hui, rien que des souvenirs amers et des leçons dont on peut profiter. Soixante années après la perte du Canada, la Providence nous a donné un autre désert à coloniser. L’Algérie, assise sur les bords de la Méditerranée, à trois jours de nos ports, est occupée par nos troupes. Aujourd’hui nos armées ont ouvert à la colonisation un pays immense, plus fertile, plus facile à peupler que ne le fut le Canada. Puisse la France, qui regorge d’habitans, déverser sur ce sol choisi les émigrans laboureurs que les bords du Saint-Laurent ne virent point arriver en assez grand nombre, et qu’attend avec impatience l’avant-garde des premiers colons !


THEODORE PAVIE.