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Boulogne, médecin français distingué établi à La Havane depuis plusieurs années, me dit avoir vu peu de cas de fièvre jaune. Elle semble aussi s’adoucir à la Nouvelle-Orléans ; le nombre des malades admis à l’hôpital qui ont succombé à ce fléau en 1850 a été moindre qu’en 1849, bien que le nombre des admissions ait été plus considérable. Probablement les améliorations sanitaires dans les deux villes ont contribué à ce résultat. On a contesté la transmission contagieuse de la fièvre jaune comme celle de la peste. L’opinion la plus vraisemblable est l’opinion moyenne, qui admet pour les deux maladies l’influence des circonstances locales et de la prédisposition des individus sur l’explosion et le développement du mal, mais qui admet aussi que des personnes ou des objets venant d’un pays infecté peuvent, par leur présence, produire cette éclosion et favoriser ce développement. Toutefois je m’arrête et ne veux pas mériter, en m’étendant trop sur un si triste sujet, le reproche que j’adressais tout à l’heure aux conversations de La Havane.

Il vaut mieux aller lire des ouvrages espagnols sur Cuba à la bibliothèque de l’Université. L’Université est un lieu très agréable. Imaginez un cloître entourant une cour remplie, on pourrait dire encombrée d’une végétation admirable, d’arbres à formes pour moi nouvelles, au sommet desquels s’enroulent des lianes et pendent de belles fleurs rouges parmi la verdure. La bibliothèque est placée entre cette cour et une autre cour au milieu de laquelle jaillit en murmurant une fontaine. J’aurais eu grand plaisir à lire dans ce lieu de délices, entre la verdure et l’eau. Malheureusement le bibliothécaire était à la campagne et avait prudemment emporté la clé, comme faisaient, dit-on, jadis les gardiens de notre cabinet de médailles quand ils allaient à Rome. Je me suis présenté plusieurs fois sans plus de succès. Enfin j’ai pu pénétrer dans la bibliothèque. J’y ai trouvé nos traités scientifiques récens et les œuvres de M. Cousin. Comme je commençais à lire, le bibliothécaire, après avoir causé très poliment avec moi, m’a averti qu’il était professeur, que l’heure de sa classe était arrivée, et a mis de nouveau la clé dans sa poche. Voilà le laisser-aller et la bonhomie des habitudes méridionales. De même à Rome, quand vous vous présentez chez un banquier pendant le mois d’octobre, il se peut qu’on vous réponde : « Il est à la campagne et fait son mois d’octobre, — fà l’ottobre. » Ce sans-gêne indolent, qui a bien ses inconvéniens, ne me déplaît pas ici ; il me repose de l’ardente et incessante activité des États-Unis, activité que j’admirais fort, mais qui avait fini par m’étourdir comme le ferait le spectacle d’une roue toujours en mouvement. J’ai trouvé du reste une autre bibliothèque dont les entours ne sont pas si charmans, mais qui a l’avantage d’être ouverte tous les jours.

Il n’y a pas, comme on peut croire, un très grand mouvement