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pas répondre, la constitution donne au président trop peu de pouvoir sur les états pour lui permettre d’empêcher des coups de main semblables à celui de Lopez. Je ne crois pas que ces coups de main réussissent, surtout tant que la flotte et l’armée espagnoles seront là ; mais, comme je l’ai dit, elles peuvent être appelées ailleurs. Est-il possible de conserver longtemps un pays qu’on possède malgré lui ? Enfin, si les créoles parvenaient à organiser dans l’île une insurrection sérieuse et à tenir sur un point quelconque, ils se trouveraient dans une situation assez semblable à celle des colonies anglaises, quand elles s’insurgèrent contre la métropole pour des griefs beaucoup moindres. Il serait bien difficile alors au congrès et au président de l’Union américaine, poussés par l’opinion, d’empêcher que des secours fussent portés aux insurgés, et même de ne pas soutenir à Cuba le principe auquel les États-Unis doivent leur existence.


23 février.

Il y a un pays plus menacé que Cuba, parce qu’il est encore plus mal gouverné ; ce pays, c’est le Mexique. Comme le Mexique est toujours au moment de se briser et de se dissoudre, si on veut le trouver à peu près vivant, il faut se hâter de le visiter. J’en ai grande envie, et mon compagnon de voyage, M. de Villeneuve, y est tout disposé[1]. L’on nous dit que la nature y est aussi puissante que la société y est faible, et que de magnifiques spectacles nous y attendent ; mais comment faire ? il n’y a pas en ce moment de bateau à vapeur entre La Havane et Vera-Cruz. Nous sommes allés voir, il y a quelques jours, un petit bâtiment à voiles ; il était si encombré de passagers, que nous n’aurions su où nous loger pendant une traversée qui, dans cette saison, peut être orageuse. Enfin le ciel nous a envoyé une corvette espagnole ; elle a touché à La Havane et va continuer sa route jusqu’à Vera-Cruz. Aller voir la corvette, retenir nos cabines est l’affaire d’une demi-heure ; mais le vent favorable est moins pressé de souffler que nous de partir. Le départ est remis d’un jour à l’autre. Ce matin, nous sommes venus encore une fois à bord apprendre qu’on ne partait point. Au moment où nous nous retirions piteusement, le capitaine se ravise, et nous dit de rester jusqu’à midi pour voir si le vent ne se lèverait pas. En effet, une heure après, nos voiles s’enflaient doucement, nous sortions de la rade, et nous voguions vers le Mexique pour de moins grandes aventures, mais presque avec autant d’enthousiasme que Fernand Cortez.


J.-J. AMPERE.

  1. Mon autre compagnon de voyage, M. de Béarn, nous avait quittés à mon grand regret, rappelé à Washington par ses devoirs diplomatiques. Depuis, il a visité lui-même le Mexique.