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les côtes de la Corée aux naufragés de la Gloire et de la Victorieuse et des égards dont elle avait su entourer cet honorable malheur. Une pareille circonstance devait assurer l’avenir de nos relations avec les autorités et les principaux habitans de la colonie anglaise. L’annonce de la révolution de février nous avait inspiré, il est vrai, quelques doutes sur le maintien de la paix européenne, et nous avait commandé une légitime défiance. Quand la marche des événemens nous permit de renouer des rapports un instant interrompus, les Anglais eurent le bon esprit de ne témoigner aucun ressentiment d’une conduite qu’ils n’eussent point manqué en pareille circonstance d’imiter, et qu’ils avaient franchement déclarée sailor-like, ce qui, pour des Anglais, est tout dire. Je me trouvai heureux, pour ma part, de pouvoir, avant de quitter les côtes de Chine, prendre congé d’officiers que j’estimais, et dont j’avais admiré les intrépides manœuvres dans le golfe du Tong-king et dans le canal des Jonques ; mais ce fut surtout aux négocians américains qui nous avaient témoigné une si généreuse sympathie pendant cette crise difficile, que j’éprouvais le besoin de parler de ma reconnaissance. M. Forbes était parti depuis près d’une année pour les États-Unis ; ses compatriotes étaient devenus les miens : je les vis presque tous à Canton, et j’échangeai avec eux les vœux les plus sincères. Puisse leur honorable et persévérante industrie prospérer sur ces lointains rivages ! Puissent leurs efforts servir d’exemple aux nôtres, et le hong français être en état de rendre un jour à la marine américaine ce que la maison Russell et Sturgis a fait tant de fois pour la marine française !

Le 4 mai 1850 devait être le dernier jour que nous passerions sur la rade de Macao. C’était une magnifique journée de printemps, tiède et sereine. Une légère brise de sud ridait à peine la surface de la baie. Nos amis nous avaient accompagnés jusqu’à bord, et dans ce moment si longtemps attendu, si impatiemment désiré, je ne sais quelle secrète émotion venait attrister notre départ. Nos voiles cependant frémissaient impatientes au haut des nuits ; la marée nous pressait de partir ; nous donnâmes le signal. Un effort vigoureux arracha l’ancre de la vase épaisse dans laquelle elle était enfoncée, et la Bayonnaise, s’inclinant gracieusement sous ses huniers, s’élança vers le canal que nous devions franchir pour gagner la haute mer.

Notre fidèle comprador, Ayo, n’attendait que ce moment. Il était déjà descendu dans son bateau, et surveillait d’un œil attentif nos manœuvres. Quand il vit la Bayonnaise tourner sur elle-même, il fit faire volte-face à sa barque, qui, sous ses deux voiles de nattes, se jouait depuis quelques minutes autour de la corvette, et à l’instant une explosion formidable de pétards se fit entendre. De longues guirlandes d’artifices, qui pendaient du haut de chaque mât, éclatèrent