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rapports avec le congrès. Nous verrons plus tard M. de Vergennes lui-même s’expliquer très nettement sur ce point ; mais comme sa réponse officielle, à l’époque où elle fut adressée au congrès, pourrait être considérée comme dictée par les convenances politiques, nous devons, en exposant les arrangemens contractés entre Silas Deane et Beaumarchais sous l’œil même de M. de Vergennes, chercher à démêler les véritables intentions du ministre dans une affaire qui, par sa nature même d’affaire secrète, a laissé naturellement peu de documens écrits de la main de ce dernier.

Une première preuve en faveur de Beaumarchais nous est fournie par un de ces incidens un peu comiques qui, dans la vie de l’auteur du Barbier de Séville, se mêlent toujours aux choses les plus sérieuses, et que nous devons raconter parce qu’il vient à l’appui de notre thèse. Au moment où le premier agent du congrès, Silas Deane, arriva à Paris, en juillet 1776, Beaumarchais, quoique le plus ardent, n’était pas le seul avocat des insurgens auprès du ministère. Avec lui rivalisait de zèle un vieux médecin, nommé Dubourg, assez savant en botanique, qui s’était lié autrefois en Angleterre avec Franklin, et qui se remuait beaucoup pour la cause américaine. Franklin, avant d’être envoyé lui-même en France, avait adressé Silas Deane au docteur Dubourg. Ce docteur, à qui M. de Vergennes accordait quelque confiance, avait été mis dans la confidence des intentions du ministre, de subventionner secrètement diverses entreprises commerciales destinées à envoyer des fournitures aux Américains, et il avait compté qu’il serait choisi pour diriger une opération de ce genre, lorsqu’il apprit que le ministre, plus confiant sans doute dans l’habileté de Beaumarchais que dans la sienne, avait donné la préférence à ce dernier. Mécontent de se voir supplanté par l’auteur du Barbier de Séville, le vieux docteur écrit à M. de Vergennes la lettre suivante :


« Monsieur le comte,

« J’ai vu ce matin M. de Beaumarchais, et j’ai conféré volontiers avec lui sans réserve. Tout le monde connaît son esprit, et personne ne rend plus justice que moi à son honnêteté, sa discrétion, son zèle pour tout ce qui est grand et bon. Je le crois un des hommes du monde les plus propres aux négociations politiques, mais peut-être en même temps un des moins propres aux négociations commerciales. Il aime le faste, on assure qu’il entretient des demoiselles ; il passe enfin pour un bourreau d’argent, et il n’y a en France ni marchand ni fabriquant qui n’en ait cette idée et qui n’hésitât beaucoup à faire la moindre affaire de commerce avec lui. Aussi m’étonna-t-il bien lorsqu’il m’apprit que vous l’aviez chargé non-seulement de nous aider de ses lumières, mais de concentrer en lui seul l’ensemble et les détails de toutes les opérations de commerce tant en envois qu’en retours, soit des munitions de