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ment pour 20,000 hommes, réunir tous ces objets dans divers ports, les expédier aux insurgens, le tout sans éveiller les soupçons de l’ambassadeur d’Angleterre. Mais ce n’est pas en vain que Beaumarchais a pris pour devise : Ma vie est un combat. Les choses compliquées lui conviennent mieux que les choses simples. Une fois rassuré sur les résultats de l’opération par les engagemens de Silas Deane, il loue dans le faubourg du Temple une immense maison connue sous le nom d’hôtel de Hollande, il s’y installe avec ses bureaux, ses commis, et passe du jour au lendemain de l’état d’auteur comique à l’état de négociant espagnol connu sous le nom de Roderigue Hortalez et compagnie. En quelques mois, au milieu d’obstacles dont le détail serait trop long, il avait réuni au Havre et à Nantes tous des objets mentionnés plus haut. Silas Deane avait promis de fournir des navires américains pour transporter les cargaisons ; mais ces navires n’arrivaient pas, et il était important que les secours parvinssent assez tôt pour servir dans la campagne de 1777. Beaumarchais s’arrange avec des armateurs et fournit les navires. Sur une lettre d’Arthur Lee, qui lui en fit un crime plus tard, Silas Deane demandait à enrôler des officiers d’artillerie et du génie, et à les expédier en même temps que les canons et les boulets. Beaumarchais obtient du ministère qu’il fermera les yeux sur cette opération ; il enrôle lui-même quarante ou cinquante officiers qui doivent se rendre isolément au Havre et s’embarquer sous la conduite d’un général d’artillerie nommé Ducoudray[1].

Cependant, malgré les précautions prises, l’expédition avait fait du bruit. Je lis dans une lettre du lieutenant de police à M. de Vergennes, en date du 12 décembre 1776, les lignes suivantes : « L’arrivée du docteur Franklin à Nantes fait beaucoup de sensation, et le départ de M. de Beaumarchais, que l’on dit partout s’être rendu au Havre, n’en fait pas moins. » Pour éviter des querelles avec l’ambassadeur anglais, il avait été arrêté entre les ministres que ce convoi

    de fabrication n’étaient pas sans doute assez perfectionnés pour leur permettre de s’en procurer chez eux. Il faut dire ici que les armes ou munitions tirées des arsenaux de l’état n’étaient point données gratis à Beaumarchais. C’est ce qui résulte du passage suivant d’une lettre inédite de ministre de la guerre, le comte de Saint-Germain, en date du 25 août 1776, au comte de Vergennes, que j’extrais des papiers de Beaumarchais : « Cette compagnie, écrit M. de Saint-Germain, paiera comptant les bouches à feu sur le pied de 40 sous la livre de fonte, les fers coulés 90 fr. le millier, et les fusils 23 fr. Dans le cas où elle demanderait des délais, elle en donnerait une caution valable. » Dans une autre lettre adressée à Beaumarchais, en date du 30 juin 1776, le ministre de la guerre lui écrit à propos de la poudre qu’on lui a livrée et qu’il doit remplacer dans trois mois : « Je dois vous prévenir que la poudre que vous aurez à remplacer ne pourra être reçue qu’après qu’elle aura été éprouvée suivant les règlemens. »

  1. Ces officiers, enrôlés par Beaumarchais et Silas Deane, et qui précédèrent Lafayette en Amérique, ne réussirent pas tous également. Plusieurs apportaient des pré-