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« Je cimenterais sous toutes les formes ma liaison avec l’Amérique, dont la garantie aujourd’hui peut seule nous conserver nos colonies, et comme les intérêts de ce peuple nouveau ne peuvent jamais croiser les nôtres, je ferais autant de fonds sur ses engagemens que je me défierais de tout engagement forcé de l’Angleterre. Je ne négligerais plus jamais une seule occasion de tenir dans l’abaissement ce perfide et fougueux voisin qui, après nous avoir tant outragés, fait éclater dans sa rage aujourd’hui plus de haine contre nous que de ressentimens contre les Américains, qui lui ont enlevé les trois quarts de son empire.

« Mais craignons de passer à délibérer le seul instant qui reste pour agir, et qu’à force d’user le temps à toujours dire : Il est trop tôt, nous ne soyons obligés de nous écrier bientôt avec douleur : Oh ciel ! il est trop tard. »


Il nous a paru assez intéressant de montrer Beaumarchais discutant ainsi avec les ministres de Louis XVI sur le parti à prendre disant : Je ferais, et se mettant naïvement à la place du roi de France. La vérité est qu’on fit une partie de ce qu’il conseillait de faire : en même temps qu’on notifiait à la cour de Londres la reconnaissance de l’indépendance américaine, on concluait secrètement un traité d’alliance avec les Américains, et l’on envoyait M. Gérard à Philadelphie en qualité de ministre plénipotentiaire pour veiller à la ratification du traité.

La cour de Londres, considérant la reconnaissance de l’indépendance des États-Unis comme une déclaration de guerre, rappela son ambassadeur, et les deux nations se préparèrent à la lutte. Le premier coup de canon fut tiré par l’Angleterre le 18 juin 1778. L’amiral Keppel, croisant avec une flotte en vue des côtes de France, à la hauteur de Morlaix, rencontre la frégate la Belle-Poule, commandée par le lieutenant Chadeau de La Clocheterie ; il envoie une frégate anglaise ordonner à l’officier français de se rendre sous la poupe de son vaisseau pour être interrogé. La Clocheterie répond qu’il n’a point d’interrogatoire à subir de la part d’un amiral anglais. La frégate anglaise lui tire un coup de canon ; La Clocheterie riposte par toute sa bordée. Le combat s’engage entre les deux frégates à la vue de l’escadre. Bientôt la frégate anglaise est mise hors de combat. L’amiral Keppel détache deux vaisseaux contre la Belle-Poule, qui se retire devant des forces supérieures et rentre à Brest avec vingt-cinq hommes tués et cinquante-sept blessés.

Ces premiers coups de canon furent accueillis en France avec un hourrah d’enthousiasme. On a discuté souvent depuis sur l’utilité et les résultats de cette guerre pour l’Amérique : il est certain que la puissance anglaise n’a pas été aussi affaiblie qu’on le croyait par la séparation des colonies ; il n’est pas moins certain que les Américains ne se sont pas toujours montrés reconnaissans des sacrifices considérables que la France fit pour eux à cette époque ; mais en dehors