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trois boulets dans le flanc, quatre à la flottaison, dont deux ont percé à jour, cinq dans les mâtures qui les ont très offensées, un dans la grande pompe qui l’a mise en pièces, quarante dans les voiles qui les ont criblées, et le reste dans les gréemens qui les ont hachés) ; l’épuisement total de matelots où l’on a mis mes autres navires à leur arrivée au Fort-Royal pour compléter les équipages de l’escadre ; l’ordre donné au Fier Roderigue de se réparer et de suivre l’escadre ; l’obligation où je suis d’envoyer de nouvelles instructions au nouveau chef de ma flotte, et l’impossibilité que de plus de trois mois cette flotte marchande, qui en a déjà perdu onze, parte sous convoi du Fier Roderigue pour sa vraie destination : — tout cela, sire, ruinant ma campagne, dont les avances ont été énormes, et jetant loin les rentrées de fonds qui devraient être faites à présent, me force d’implorer les bontés de votre majesté.

« Que je ne périsse point, sire, et je suis content. Le service que je demande est de peu d’importance.

« On me mande de la Grenade que l’on tire à vue sur moi 90,000 livres pour les réparations urgentes du Fier Roderigue. Sur plus de 2 millions que j’ai avancés cette année à ma flotte, il ne me reste plus à payer que cent mille écus, moitié le 25 de ce mois et moitié au 10 octobre. Je supplie votre majesté de vouloir bien ordonner que cette modique somme de 400,000 livres me soit prêtée pour quelques mois seulement de son trésor royal. M. le comte de Maurepas sait, par l’expérience de ses bontés pour moi, que je suis fidèle à mes engagemens. À l’arrivée des fonds considérables que j’attends de la Martinique, où mes denrées ont été vendues, je rembourserai au trésor le capital et les intérêts.

« Ce n’est qu’après un calcul, inappréciable aujourd’hui, qui aura mis sous les yeux des ministres mes pertes réelles, que j’invoquerai la justice de votre majesté pour leur remboursement ; mais c’est à titre de grâce que je demande le prêt momentané de 400,000 livres que le désordre de cette campagne rend indispensables pour empêcher de périr un des plus fidèles sujets de votre majesté dont la perte entraînerait un découragement général[1].

« Caron de Beaumarchais. »


En même temps Beaumarchais faisait décorer son capitaine en second de la croix de Saint-Louis, et il faisait passer dans la marine militaire un de ses officiers qui fut depuis amiral[2].

Bientôt le comte d’Estaing, qui avait fait avarier si glorieusement le vaisseau de l’auteur du Barbier, revient en France ; Beaumarchais

  1. Beaumarchais reçut cette première indemnité de 400,000 livres à valoir sur une indemnité plus considérable dont le chiffre restait à établir. Il fut fixé par trois fermiers-généraux délégués par le ministre. Les dix navires convoyés par le Fier Roderigue ayant été dispersés et pour la plupart pris par les Anglais, les pertes de Beaumarchais dans cette campagne furent énormes, et, après bien des débats, l’indemnité fut fixée à 2 millions en plusieurs termes, qu’il toucha successivement, et dont le dernier lui fut payé en 1785, à sa sortie de la prison de Saint-Lazare.
  2. C’est l’amiral Ganteaume, qui fut successivement matelot et officier de Beaumarchais. J’ai plusieurs lettres de lui à l’auteur du Barbier de Séville empreintes du respect d’un sujet pour son souverain.