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rencontre, suivant la hauteur à laquelle on s’élève, la même diversité de climats qu’à Java ou aux Philippines.

Il est généralement admis aujourd’hui que les Espagnols avaient eu connaissance des îles Sandwich avant le capitaine Cook ; mais ce grand navigateur est le premier qui ait appris à l’Europe l’existence d’un archipel auquel il imposa le nom d’un des lords de l’amirauté britannique. Son navire apparut un matin, aux naturels de Taouaï, comme une forêt flottante, et l’archipel des Sandwich, pléiade égarée qui avait échappé pendant bien des siècles à une attraction fatale, se trouva ramené, par cette découverte, dans le tourbillon général de l’univers. Il serait difficile d’apprécier le degré de civilisation qu’avaient atteint les premiers colons de la Polynésie avant que le hasard des flots les séparât du reste de l’humanité ; je serais porté à croire cependant qu’ils apportèrent avec eux dans ces solitudes les germes d’une hiérarchie sociale que la force seule n’eût point suffi à fonder. De temps immémorial, il avait existé aux Sandwich une distinction profonde entre la classe des chefs et la classe inférieure. Adorés pendant leur vie, les chefs étaient déifiés après leur mort. La terre et l’océan étaient leur propriété. Le peuple n’avait d’autre mission que de servir et d’engraisser de son labeur cette race sacrée. Aussi pouvait-on reconnaître du premier coup d’œil un chef hawaiien à sa haute stature et à son embonpoint. L’archipel était divisé en plusieurs monarchies féodales. Le pouvoir du souverain, placé sous la protection des superstitions publiques, était sans limites. Une troupe de hiérophantes, dont les fonctions étaient héréditaires, prêtaient à ses volontés le secours de leurs artifices. Les interdictions qu’il avait prononcées étaient, accueillies comme un arrêt des dieux, et nul ne pouvait les enfreindre sans encourir la peine capitale. Le tabou était donc la première loi de l’état ; quelques-unes des prescriptions de ce code rigoureux enchaînaient à leur joug jusqu’au souverain lui-même. Ainsi, sous le chaume royal comme dans la plus humble cabane, les deux époux n’auraient jamais osé s’asseoir à la même table ; les hommes et les femmes devaient prendre leur repas dans des appartemens séparés. Par un singulier abus de pouvoir, c’était surtout contre les femmes que s’était acharnée la législation du tabou ; elle ne connaissait ni infractions légères ni châtimens gradués : en la violant, c’était la Divinité qu’on offensait. Il fallait s’attendre au dernier supplice, si l’on osait lancer une pirogue à la mer pendant l’un des jours interdits, si par le plus léger bruit on troublait la solennité des prières, si on laissait involontairement son ombre se projeter sur la personne du roi, si, lorsqu’on prononçait le nom du souverain dans une chanson, lorsqu’on rencontrait le serviteur qui lui portait son maro, on ne se prosternait