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III.

LE BAL.


— « Non, ma mère, ce soir n’allons pas à la danse.
Je suis jeune et pourtant mûre pour la prudence.
Si mon frère était là, lui, mon ange gardien,
J’irais, j’irais danser : avec lui tout est bien.
— Ma fille, j’ai pour vous les plus fines dentelles,
Jamais riche à Pornic n’en porta de si belles.
Venez donc à ce bal, Odette, mon espoir :
Mes yeux dans votre éclat, mes yeux veulent vous voir. »
Elle dut obéir ; puis, à tout ce qui brille,
Pourquoi tenter les yeux et l’esprit d’une fille ?
Ajoutons que ce bal, le dernier de l’été,
Avec mille splendeurs, ce bal sera fêté :
Artifices, jongleurs. Un chanteur en vacances
Doit sur le piano soupirer ses romances.

La veille de ce jour, Gratien à son bord,
Cabotier de Paimboeuf près de quitter le port,
Lisait dans un billet sans nom : « Revenez vite !
Le mal qu’on voit en face est un mal qu’on évite. »
Aussitôt le marin vers Pornic voyageait,
L’âme et l’esprit troublés. Cependant chaque objet
Tout le long du chemin comme un ami l’accueille,
Sur sa tige la fleur et l’oiseau sous la feuille,
Si bien (comme à vingt ans ils savent s’enchanter !)
Qu’en mesurant ses pas il se prit à chanter :

« Marin, j’ai visité bien des terres, des îles,
Mais dans le nouveau monde et dans le monde ancien,
Je songeais à mon bourg parmi ces grandes villes ;
Admirant ces pays, je regrettais le mien.

Dans les temples dorés, lorsque, plein de surprise,
J’entrais, cherchant celui qu’il faut chercher partout,
Pourquoi rêver au saint de ma petite église,
Entre deux pots à fleur dans sa niche debout ?

Certe en ces beaux climats bien des filles sont belles ;
Mes regards les suivaient et j’étais ébloui :