Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immédiatement dans chaque œil, au moyen de deux peintures différentes et prises de deux points de vue convenables, les mêmes images que reçoit l’œil de l’objet lui-même. Si donc les peintures qui se forment au fond de l’œil sur le tableau nerveux qu’on appelle la rétine, en venant, directement de l’objet, sont remplacées par de fidèles peintures daguerriennes ou autres que l’instrument introduit au fond de chaque œil, cet organe se trouvera exactement dans le même cas que s’il eût reçu ces peintures de l’objet réel lui-même, et les impressions reçues étant les mêmes, les sensations et perceptions du relief et de toutes les autres propriétés de l’objet, comme ses couleurs, ses dégradations de teinte, ses détails de forme ; etc., seront les mêmes aussi. En un seul mot, ce que fait la nature pour l’œil, le stéréoscope le fait pareillement.

Il serait trop long et trop fastidieux de faire connaître tous les détails du stéréoscope ou plutôt des stéréoscopes. Nous avons déjà dit que dans l’ancien appareil de M. Wheatstone, les deux dessins étaient ramenés à la superposition dans l’œil au moyen de deux miroirs. M. Brewster a remplacé les miroirs par des prismes réflecteurs qui opèrent de face. On peut même supprimer les miroirs en regardant les deux dessins chacun avec un œil, ce que l’on fait en disposant une espèce de cloison en avant du nez, de manière à forcer la vision de chaque œil à s’attacher à un seul dessin. Je crois que ces tours de force seraient fort dangereux pour les enfans et pour les personnes qui ont de la tendance à loucher. Pour ceux qui voudront s’exercer à produire simplement ces belles illusions, je recommanderai de placer sur une table le double dessin qu’ils veulent voir stéréoscopiquement, ensuite de placer la main ou une feuille de carton devant la figure, de manière que chaque œil ne voie qu’un des dessins, puis de fixer le regard, tantôt sur les dessins, tantôt sur l’extrémité de la feuille de carton ou des doigts de la main, en remuant la tête d’avant en arrière jusqu’à ce qu’on voie naître entre les deux dessins, qui paraissent écartés l’un de l’autre, un troisième dessin intermédiaire. Une fois cette apparition produite, il faut y diriger son attention ; alors sans miroirs, sans loupes, sans boîte, sans appareil aucun, on reproduit l’effet du stéréoscope. Pour surcroît de bonheur, on est louche pour toute sa vie !

J’ai dit plus haut que les constructeurs et les acheteurs avaient abusé du stéréoscope. En effet, la grande facilité d’assembler les côtés d’une boîte de quelques décimètres de dimension, d’y implanter deux tuyaux garnis de loupes et de réflecteurs (chacun de ces objets, suivant M. Brewster, revenant en gros à 5 francs la douzaine !), et enfin d’y adaptée des daguerréotypes éclairés en dessus ou par transparence, ont fait de cet instrument un article de pacotille que M. Dubosq a débité à près de dix mille, et les opticiens de Londres et de New-York avec autant de succès. Mais admettez qu’un double daguerréotype, une double photographie sur papier, enfin une double miniature exécutée avec tous les raffinemens de l’art, soient mis dans un stéréoscope de choix, et voyez l’admirable effet artistique qui en résultera : on rendrait impérissables les formes statuaires des plus beaux modèles, les poses artistiques des premiers artistes dramatiques, les traits chéris des parens, les amis et des bienfaiteurs, et l’on produirait l’immortalisation physique des