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des couleurs, sur les couleurs complémentaires, les couleurs de contraste, et sur les couleurs propres des corps. Le stéréoscope deviendra un instrument de recherches, un véritable outil, dans ces difficiles spéculations théoriques et expérimentales. En physique comme en astronomie, l’art d’observer, qui n’est que le fondement de la science, est lui-même, comme dit Fontanelle, une très grande science.

J’ai trouvé plusieurs personnes qui s’affligeaient de voir que le stéréoscope, à la vérité construit et apprécié par des Français, fût une invention anglaise ; mais le daguerréotype est français, et d’ailleurs il n’y a point de nationalité pour les sciences pas plus que pour l’intelligence du genre humain. C’est là une des belles paroles de Napoléon Ier. J’ai déjà dit ailleurs que, sans la haute protection de Napoléon III pour un Anglais, M. Brett, l’Angleterre, qui communique maintenant au continent par des fils électriques sous-marins aboutissant en France, en Belgique et en Hollande, serait encore, pour ses correspondances privées et politiques, à la merci des hasards météorologiques. Dans peu, non-seulement il n’y an m plus de Pyrénées, mais plus d’Alpes, plus de Caucase, plus d’Atlantique, plus de Pacifique.

La théorie du stéréoscope se réduit donc à dire que cet instrument fait, pour la vision avec les deux yeux, ce que les objets réels font eux-mêmes, et que, par suite, les doubles peintures stéréoscopiques apparaissent comme si elles existaient réellement ; mais la question de la vision naturelle est si belle par elle-même, qu’il serait fâcheux de ne point aborder ici ce sujet, où la science et le raisonnement ont triomphé depuis longtemps. Des vérités acquises depuis longtemps n’en sont pas moins précieuses.

On connaît depuis bien des années l’expérience qui consiste à prendre l’œil d’un grand animal récemment tué, un œil de bœuf par exemple. Après avoir aminci, au moyen d’une lame bien tranchante, la partie postérieure de cet œil, ou voit se peindre en transparence sur le fond une image des objets, celle des fenêtres, des maisons ou des arbres voisins se détachant sur le ciel. C’est une vraie chambre-noire ordinaire. Plusieurs penseurs ont été embarrassés de savoir comment une image sans relief, une image plate et sans épaisseur donnait à l’animal la sensation du relief et des distances. Voici comment s’opère ce jugement.

Si l’on regarde les objets avec un seul œil, on sait que, si l’on observe des objets inconnus où rien ne puisse aider la sensation matérielle, on juge fort mal leur relief, dès qu’ils sont à la distante de quelques décimètres, lui effet, si l’œil agit seul, les divers points de l’objet, qui sont à diverses distances, ne peindront pas leurs images avec la même netteté, dans l’œil, et il en résultera pour cet organe un moyen de juger ou plutôt de sentir les diverses distances par le plus ou moins de netteté qu’elles créent au fond de l’œil ; mais dès que la distance de l’objet devient un peu plus considérable, un mètre par exemple, toutes les images ont sensiblement le même degré de netteté ou de trouble, et ce moyen de perception fait défaut à l’œil agissant seul. Employons maintenant les deux yeux.

Alors, à moins que la distance ne soit immense, par exemple plusieurs centaines de mètres, chaque œil reçoit une impression différente. L’œil droit atteint des points de l’objet que ne voit point l’œil gauche de son côté, et réciproquement. L’habitude, l’exercice, le tact appelé comme auxiliaire, les diverses