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russes. C’est le même système que la Russie semble pratiquer depuis longtemps avec la Turquie, et qu’elle poursuit avec une volonté d’autant plus inflexible que le but semble plus rapproché. Le tsar investi d’un droit de protection sur toutes les populations grecques de l’Orient, que resterait-il à faire ? M. de Nesselrode, dans sa dernière note, renouvelle les déclarations qu’il a déjà faites en faveur de l’intégrité de l’empire ottoman, il proteste contre toute pensée de conquête. Seulement ces déclarations mêmes ne laisseraient pas d’avoir besoin de certains éclaircissemens, — car enfin de quelle intégrité s’agit-il ? Est-ce de l’intégrité réelle, effective, se traduisant en une indépendance complète de la Porte. Est-ce de l’intégrité dont parlait l’illustre chancelier de Russie lui-même dans une dépêche adressée au grand-duc Constantin en 1830, lorsqu’il disait : «… Dans l’opinion de l’empereur, cette monarchie, réduite à n’exister que sous la protection de la Russie et à n’écouter désormais que ses désirs, convenait mieux à nos intérêts politiques et commerciaux que toute combinaison nouvelle qui nous aurait forcés, soit à trop étendre nos domaines par des conquêtes, soit à substituer à l’empire ottoman des états qui n’auraient pas tardé à rivaliser avec nous de puissance, de civilisation, d’industrie et de richesse ? » On voit que si la Russie voulait laisser vivre l’empire ottoman après la guerre de 1828, elle lui mesurait la vie. Elle ne voulait pas conquérir la Turquie, elle voulait seulement ce qu’elle appelait des clés de position pour la tenir en échec. Le protectorat réclamé aujourd’hui sur les Grecs n’est-il point une de ces clés de position ? Mais alors une intégrité de ce genre n’est-elle pas cent fois pire qu’une incorporation pure et simple à la Russie ? Nous n’insistons pas davantage sur ces souvenirs. Il serait digne de l’empereur Nicolas, non point certes d’abdiquer la grandeur de son pays, ce qu’on ne saurait réclamer de personne, mais de s’arrêter là où l’intérêt européen est en contradiction si éclatante avec ses prétentions actuelles. Dans les nouveaux essais de conciliation qui peuvent survenir, il est facile sans doute à des gouvernemens qui n’ont nourri jusqu’ici aucun mauvais vouloir contre la Russie - de tenir compte de sa dignité, et de sa situation. Il n’en est pas moins vrai cependant que les chances de la paix diminueraient beaucoup, si le gouvernement russe continuait à poser comme condition préalable de tout arrangement la soumission absolue de la Turquie et la retraite des flottes combinées de la France et de l’Angleterre, selon la note de M. de Nesselrode. Pour tout dire, cela équivaudrait simplement à une rupture de toute négociation. Ce n’est au surplus, en ce moment, ni à Paris, ni à Londres, ni même à Saint-Pétersbourg, que cette redoutable question semble devoir être trancher ; c’est à Constantinople, où tous les efforts de la diplomatie sont tournés vers la recherche d’une issue pacifique. Il a même été question, assure-t-on, d’une note délibérée par les représentans de toutes les puissances, et qui, par la médiation de l’Autriche, serait soumise à l’assentiment de la Russie. Tel est donc aujourd’hui l’état de cette longue et obsédante affaire : la guerre dans la Mer-Noire, c’est pour le continent le point de départ d’une série d’événemens dont il serait impossible de calculer la portée ; la paix, en laissant le destin de la Russie s’accomplir dans le Bosphore, c’est l’abdication de l’Europe. Entre ces deux extrêmes, la diplomatie intervient et dit, selon son habitude : Ajournons la