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Pékin, puis il fut exécuté ; mais au même instant le véritable Tien-te gagnait une bataille sur les troupes impériales, et il en est résulté finalement l’exécution du malheureux Sin lui-même. Cela ne prouve qu’une chose, c’est que le gouvernement chinois se défend faiblement, avec désordre, comme les pouvoirs qui se sentent mourir. Après la prise de Nankin, il a appelé à son aide les étrangers, ceux qu’il traitait naguère de barbares ; mais il est douteux que ceux-ci répondent à l’appel. Maintenant l’insurrection a dû se diriger sur Pékin. Quel sera l’avenir de ce mouvement ? MM. Yvan et Callery, en terminant, rapportent une prophétie chinoise, d’après laquelle ce sont les Fo-lan-si, en d’autres termes les Français, qui doivent chasser les Tartans. Les Fo-lan-si, cela veut dire l’esprit chrétien que la France est allée porter en Chine depuis deux siècles. N’est-il point singulier de voir ainsi le nom de la France vivre au loin, tandis que nous avons étrangement mis notre patriotisme à détruire ces choses qui faisaient son ascendant et en entretiennent encore le souvenir ?


CH. DE MAZADE.


Du Mysticisme au XVIIIe siècle, Essai sur la Vie et la Doctrine de Saint-Martin, le Philosophe inconnu par E. Caro, professeur agrégé de philosophie au lycée de Rouen[1].

Il se pourrait très bien que le mysticisme reprît du crédit. Lorsque l’esprit humain est mécontent des réalités, lorsque l’expérience a déçu la raison et que notre sagesse s’est vue la risée des événement, on se sent triste et humilié, et si l’on ne se jette dans une incrédulité moqueuse ou dans l’activité absorbante des intérêts matériels, on est tenté de se réfugier dans le monde spirituel et de remonter vers l’invisible. Dans toute société policée, ce refuge existe, il est publiquement, officiellement ouvert à tous, C’est la religion établie, et parmi nous, grâce à Dieu, la religion établie, c’est le christianisme, toute religion est au fond un mysticisme, et le christianisme lui-même en est un, si l’on prend ce mot dans sa meilleure part, et s’il n’exprime que la foi dans une révélation directe de Dieu à l’homme ; mais on sait que ce mot a un sens particulier ; car dans le sein même du christianisme il y a des mystiques, secte innocente, touchante, admirable quelquefois, et qui peut rester orthodoxe, quoique toujours au moment de cesser de l’être ; secte dangereuse, hérétique, profanatrice, et qui peut arriver aux plus grands égaremens sur le dogme et la morale. C’est que la disposition mystique, le tour d’esprit qu’elle suppose et le genre d’idées auxquelles elle conduit, sont en soi des choses difficiles à régler, comme tout ce qui ne reconnaît pas la loi de la raison ; et lorsque la mysticité pénètre au sein du christianisme même, elle en accepte rarement le frein, elle trouve encore trop lourd le joug léger de l’Évangile, et, s’efforçant témérairement d’anticiper sur la vie éternelle, elle tend à se faire elle-même un ciel, et peut, sans le savoir, se tourner en une nouvelle sorte d’idolâtrie.

La mysticité est donc quelque chose de plus que le sentiment religieux ; le mysticisme est quelque chose de plus que la religion. Il y a une disposition spéciale de la nature humaine, dont chacun de nous a le germe en soi, mais qui, plus puissante et plus développée chez quelques-uns, engendre les véritables mystiques, sorte de gens qu’il est très difficile de définir, et qui, se plaçant en dehors de tout ce qui est pratique, naturel, rationnel, établi par

  1. Paris, 1 vol. in-8o, chez Hachette.