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BOLINGBROKE


SA VIE ET SON TEMPS.





I

On demandait un jour devant M. Pitt quelles étaient les plus regrettables des œuvres excellentes de l’esprit humain que le temps nous a ravies. L’un disait : Les livres perdus de Tite-Live ; un autre, ceux de Tacite ; un troisième, une tragédie latine. — Un discours de Bolingbroke, dit M. Pitt. — La réputation d’orateur que Bolingbroke a laissée est en effet du premier ordre. La postérité l’a respectée sur la foi des contemporains. L’homme d’état n’a pas échappé aux arrêts sévères de l’histoire. La raison a contesté les doctrines du philosophe, et, si le mérite de l’écrivain est encore reconnu, il a été mis à son rang par la critique. Le caractère de Bolingbroke, comme sa politique, ses principes et ses ouvrages, est tous les jours librement discuté ; mais son éloquence est hors de question, et l’on peut dire que c’est la seule partie de sa renommée que le temps ait laissée tout entière. « Lord Bolingbroke, dit Voltaire, un des plus brillans génies et l’homme le plus éloquent de son siècle ! » Comment contester ce jugement ? Comment apprécier un talent dont aucun monument ne subsiste ? Dans les recueils les plus complets des débats du parlement britannique, à peine rencontre-t-on cinq ou six fois le nom de Bolingbroke, et, réunis ensemble, les extraits de discours qu’on lui attribue ne formeraient pas vingt lignes. À toutes les époques, les Anglais ont estimé l’éloquence à son prix. L’histoire, depuis deux