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pour composer le cabinet, se réunissent habituellement pour délibérer sur les affaires du gouvernement, et forment comme une section permanente du conseil privé, dont ils sont d’ailleurs tous membres. C’est là le ministère. Il n’en était pas encore tout à fait ainsi au commencement du XVIIIe siècle. Cette organisation, qui satisfait aux nécessités d’état, réalise toutes les conditions de la responsabilité ministérielle. Guillaume III ne les admettait pas dans leur plénitude, et surtout en matière de négociation il prenait beaucoup sur lui. Le traité de partage n’avait été délibéré par aucun conseil ; le chancelier, sur une simple lettre du roi, l’avait scellé en blanc. La chambre, sans se rendre parfaitement compte des meilleurs moyens de s’assurer le contrôle efficace et régulier du gouvernement, sans pouvoir réclamer l’appui de règles formelles, avait le sentiment de ses droits et les exerçait avec indépendance. Son énergie était cette fois animée par sa passion. Cabinet et majorité ressentaient un vif désir de traiter en ennemis les derniers ministres. À la haine contre les whigs s’unissait une malveillance secrète contre Guillaume. C’était d’ailleurs une vraie satisfaction que de suspendre sur la tête des whigs ces mots de trahison ou d’accusation par eux prononcés tant de fois, et de dénoncer à son tour des favoris et des courtisans. Quoique le traité, critiquable dans le fond et dans la forme, ne fût criminel à aucun degré, il devint l’occasion ou le prétexte d’une de ces haineuses poursuites que les partis alors ne s’épargnaient pas les uns aux autres. Le renversement d’un ministère suffisait rarement à leur vengeance, et les rancunes implacables caractérisent en particulier les factions qui se croient les conservatrices par excellence de l’ordre et du pouvoir. Une première accusation fut lancée contre le comte de Portland, le négociateur d’un traité qualifié de destructif du commerce anglais et de dangereux pour la paix de l’Europe, et Saint-John fut avec Harley, Harcourt, Bromley et d’autres chefs du même parti, nommé du comité de trente-deux membres chargé d’aller soutenir l’impeachment devant la chambre des lords. Somers, Orford, Halifax, furent bientôt compris dans les mêmes poursuites : mais la chambre haute était animée des pensées de Guillaume III. L’esprit de la révolution s’y maintenait dans sa pureté première, à l’abri des fluctuations de l’opinion publique. C’était là d’ailleurs que siégeaient les ministres whigs et qu’ils exerçaient toute leur influence. Il y eut conflit entre les deux pouvoirs. Le tribunal donna tort à l’accusateur : l’une des deux chambres censura l’autre. Celle des communes s’irrita et devint menaçante. Les francs-tenanciers du Kent lui adressèrent une pétition qui ressemblait à une remontrance et qui fut déclarée séditieuse. C’est pour la condamner que pour la première fois Bolingbroke prit la parole. Ceux qui l’avaient remise allèrent en prison.