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goûts, Saint-John n’était plus sincère qu’autant qu’il était plus passionné ; car la parfaite loyauté politique eût paru duperie à ce grand esprit, qui comprenait tout, excepté la supériorité du bien sur le mal. Noble et gracieux, remuant et hardi, généreux, insinuant, éloquent, il fascinait par ses talens et ses manières ceux que ses excès avaient choqués ou qui redoutaient ses principes. Capable d’application au milieu des plaisirs, pénétrant avec facilité, laborieux avec aisance, habile à couvrir de maximes générales des combinaisons toutes personnelles, il avait plus de vues que de sagesse, et il aurait été encore plus capable de faire de grandes choses que de bonnes choses. Mais son activité, son opiniâtreté, son audace, pouvaient compenser de graves défauts. Il avait tous les dons heureux et redoutables qui séduisent les cours, entraînent les assemblées, et trompent quelquefois jusqu’à la postérité. Cependant cette dernière bonne fortune a manqué à Bolingbroke.

Au commencement d’un règne, la loi ne laissait plus au parlement que six mois d’existence. On nouveau parlement fut donc convoqué, où les tories arrivèrent en foule (octobre 1702). Ils fortifièrent leur majorité, qu’on évaluait à deux contre un, en décidant suivant leur intérêt tous les cas d’élections contestées, et commencèrent leurs délibérations par un hommage à lord Marlborough. Il avait, disait leur adresse, rétabli [retrieved) la gloire de la nation. C’était un trait lancé contre le feu roi et le traité de Ryswick. À son retour, le général, qui dans une première campagne avait fondé sa renommée, fut complimenté au nom des deux chambres. La reine le fit duc ; mais lorsqu’elle voulut qu’une pension de 5,000 livres sterling lui fut assignée sur le produit des postes, la chambre des communes rejeta cette aliénation partielle d’un revenu public, et de ce jour Marlborough se délia des tories.

Cette même chambre, qui disait la gloire nationale rétablie, avait exprimé le vœu de voir l’église restaurée dans ses droits et privilèges, et l’on va connaître comment sa piété entendait cette restauration dont Saint-John se porta aussitôt un des fervens promoteurs.

La tolérance religieuse était une des qualités de Guillaume III. Dévoué à la cause de la réformation, attaché par tradition de famille au plus rigoureux calvinisme, élevé dans une politique qui s’appuyait en Hollande du fanatisme du peuple contre les doctrines plus modérées de l’aristocratie républicaine, il s’élevait par ses lumières au-dessus de ces préjugés et de ces calculs misérables, et il commença son règne par la tentative de réunir sous une loi commune toutes les sectes protestantes. Il avait échoué, mais du moins un des premiers actes sanctionnés par lui, l’acte de tolérance, toleration act, accordait l’impunité et la liberté civile à toutes celles qui se distinguaient