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les opinions se croisent, se confondent, se transforment dans un désordre apparent où il est difficile de les reconnaître. Des mesures commencées dans un esprit se terminent dans un autre, et une opinion se défend contre une opinion rivale avec les armes que celle-ci lui a forgées. Le bill contre les non-conformistes débutait par une déclaration en faveur de la tolérance, et aboutissait à une nouvelle persécution. Nous allons voir une mesure accordée aux plaintes du jacobitisme devenir une garantie pour la révolution. La chambre des communes avait adopté une proposition qui donnait un an de délai à ceux qui n’auraient pas encore abjuré le prétendu prince de Galles ; mais les pairs y firent plusieurs amendemens, un entre autres qui érigeait en crime de haute trahison toute tentative de troubler l’ordre de la succession protestante. L’autre chambre, prise au dépourvu, n’osa pas rejeter ces amendemens. Le seul sur lequel il y eut un vote ne passa qu’à une voix de majorité, et le nom de Saint-John figura sur la liste des opposans. On ne demanda pas de division sur l’article qui créait un nouveau cas de trahison ; mais il fut vivement combattu, et par les mêmes adversaires. La liste des cent dix-sept opposans put donc être présentée comme un dénombrement officiel des ennemis de la succession protestante, et douze ans après on y trouva un chef d’accusation contre lord Bolingbroke. Au moment même où la question se décidait, elle semblait tellement posée entre le successeur hanovrien et le prétendant de Saint-Germain, qu’on raconte que Granville, s’étant approché de sir Matthiew Dudley, lui dit en souriant : « Comment vous portez-vous, mein Herr Dudley ? — Fort bien, monsieur Granville, » répondit en français sir Matthiew.

Godolphin et Marlborough, moins persuadés chaque jour que les intérêts du torisme fussent ceux de l’état, reconnaissaient que la guerre, leur plus grande affaire, exigeait d’eux une politique supérieure à leur parti. Quoique le rang de premier ministre ne fût pas régulièrement attaché au titre de grand trésorier, Rochester avait toujours envié ce poste à Godolphin. Il aimait la domination, sans y être fort habile ; il avait tous les préjugés de son parti, un zèle violent, une volonté rude, et las des échecs que ses collègues ne sauvaient pas à sa cause, il se retira, et le gouvernement de l’Irlande fut donné au duc d’Ormond, moins tory peut-être et plus jacobite, un seigneur brave et léger, plus fait pour la guerre que pour le gouvernement. La duchesse de Marlborough, toujours activement ambitieuse, continua de miner la haute église et ses adhérens dans l’esprit de la reine, et quand, dans la session suivante, le bill contre la conformité occasionnelle fut reproduit, le cabinet s’y montra plus indifférent. Godolphin, sans refuser son vote, parla d’inopportunité ; le prince de Danemark s’absenta de la chambre haute, et le projet