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de la délivrer, ou tout au moins de la consoler, en s’introduisant dans son intime confidence, grâce à une intrigue de petits appartemens dont il fit naître ou saisit l’occasion avec beaucoup d’adresse et de mystère.

Quoique ce récit ne soit pas de la biographie de Bolingbroke, il l’intéresse, et nous en rappellerons les principaux incidens.

La reine avait mal aux yeux ; on s’en inquiétait. « Elle aura mal aux yeux, dit un jour son mari, tant qu’elle aura la manie de veiller comme elle fait. » Ces mots échappés au prince George donnèrent à penser à lord Godolphin, surtout à la duchesse de Marlborough. Pourquoi la reine veillait-elle ? avec qui, pour qui ? On la savait faible, plaintive, aimant les confidences, les amitiés dérobées. Ce n’était point avec sa première dame qu’elle passait ainsi les nuits. De son côté, le lord trésorier entrevoyait dans le parlement des obstacles qui ne lui semblaient pas naturels : il soupçonnait une intrigue, peut-être même l’intrigant ; mais il ne savait rien.

La duchesse de Marlborough avait, plusieurs années auparavant, secouru les enfans d’une sœur de son père, mariée à un marchand de la Cité qui s’était ruiné. L’aînée de ces orphelins était une fille, Abigaïl Hill, qui disait avoir avec Robert Harley les mêmes liens de parenté qu’avec lady Marlborough ; mais il n’avait, ajoutait-elle, jamais rien fait pour elle, et ce n’est pas à lui, mais à sa toute puissante cousine qu’elle devait le titre de femme de chambre de la reine, encore princesse de Danemark. Dans l’été de 1707, la duchesse fut étonnée d’apprendre qu’Abigaïl était secrètement mariée avec un gentilhomme de la chambre du prince, du nom de Masham ; elle la fit venir, lui reprocha ce mystère, et, l’attribuant à la timidité et au défaut d’usage, elle lui pardonna, l’embrassa, et lui demanda seulement si la reine était instruite. Mme Masham répondit avec un air de naturel que les autres femmes de chambre lui en avaient parlé ; mais quand lady Marlborough témoigna à la reine sa surprise de ce qu’elle n’avait pas eu la bonté de l’informer du mariage de sa cousine, cette princesse ne sut répondre que ces mots : « Je lui ai dit cent fois de vous en parler, mais elle n’a pas voulu. » La reine avait donc été dans le secret. Il y avait là quelque intimité cachée ; l’œil perçant de la duchesse eut bientôt tout pénétré. La jeune Masham était une favorite, la vraie favorite ; la reine l’avait dotée ; elle avait assisté à son mariage dans la maison du docteur Arbuthnot, un Écossais, son médecin de confiance. Abigaïl venait tous les soirs chez la reine, quand le prince était couché ; elle restait enfermée deux heures avec elle. Une correspondance secrète de Harley passait par ses mains.

Lady Marlborough écrivit à sa cousine qu’elle connaissait sa conduite et son ingratitude, et ayant averti Godolphin de se tenir sur