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de basalte ; c’est le Diadème, dont le massif sépare la vallée de Papenoo de celle de Fataoua. Groupées autour de ce géant qui veille sur la vallée sainte, de nombreuses collines s’abaissent doucement vers la plage ; la rive s’arrondit comme une coupe d’agate qu’un bras invisible élèverait au-dessus des flots ; le récif qui la protège s’infléchit avec elle. L’œil suit complaisamment la mollesse de ces beaux contours et la frange d’écume qui les borde. Prêtez l’oreille, vous entendrez le bruit sourd de la vague qui vient se briser sur les madrépores et retombe incessamment dans l’abîme. Ne dirait-on pas l’aboiement irrité d’un cerbère, menace encore lointaine que le vent apporte au navire ? N’approchez qu’avec précaution de ces bords enchantés ; craignez l’écueil qui se cache sous ces eaux si bleues et en apparence si profondes. Attendez, pour serrer de plus près la côte, que vous ayez doublé la pointe Vénus et que les cocotiers de Matavaï balancent leur tête au-dessus du frais canal qu’ils ombragent. Ne cherchez point des yeux l’entrée du port, si une main amie ne vous la signale ; vous essaieriez probablement en vain de la découvrir. Au milieu du tumulte des brisans, n’apercevez-vous pas ce sillon immobile où le calme des cieux se reflète ? C’est la passe de Papeïti. Guidée par un pilote habile, la Bayonnaise s’engage sans crainte dans cette étroite coupure, anneau brisé de la chaîne qui entoure Taïti. Le vent d’une haleine plus fraîche a gonflé nos voiles ; notre ancre tombe au centre d’un bassin limpide. À notre droite, se déploie la ville, composée d’un seul rang de maisons ; notre poupe est tournée vers l’îlot de Motou-Outa.

Ce n’est pas dans ce port que vinrent aborder Wallis et Bougainville. Le havre de Papeïti n’était point encore découvert. Ces heureux navigateurs jetèrent l’ancre sur des rades moins sûres que celle qui venait de s’ouvrir pour la Bayonnaise ; mais combien leurs sensations durent être plus vives et plus neuves que les nôtres ! Un essaim de pirogues se jouait autour de leurs navires, des regards étonnés suivaient tous leurs mouvemens, un peuple simple et doux les accueillait comme des demi-dieux. Le sauvage et l’homme blanc étaient alors une merveille l’un pour l’autre. Les naturels de Taïti contemplaient avec une crainte respectueuse ces étrangers dont leur candeur s’exagérait la puissance ; le marin comparait avec envie sa rude et pénible existence aux jouissances faciles, aux plaisirs sans labeur d’un peuple qui semblait n’avoir jamais connu ni la contrainte ni le travail. Cette société primitive subsistait, malgré ses imperfections, par l’absence des besoins et par l’ignorance presque absolue de la convoitise. L’arbre à pain et le cocotier, les forêts de féi (bananier sauvage) portaient des fruits pour le peuple comme pour les plus grands chefs. La vie des Taïtiens était en réalité insouciante et facile.