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Mather avec tout son luxe de capitales et d’italiques comminatoires : ils répondirent sur le ton du badinage, et, quinze jours après, ils informèrent malicieusement Mather et le public qu’il leur était venu quarante nouveaux abonnés depuis le commencement du mois. Ils avaient jusqu’ici les rieurs de leur côté, mais ils ne devaient pas braver impunément un parti qui était en possession du pouvoir. La session de la cour générale arriva, et le Courrier du 11 juin 1722 ayant lancé un sarcasme contre les lenteurs des autorités en une circonstance insignifiante, James Franklin fut cité dès le lendemain devant la cour générale, et condamné à la prison comme coupable d’avoir publié des articles contenant des réflexions audacieuses sur le gouvernement de sa majesté, sur l’administration de cette province, sur le sacerdoce, les églises et l’université, qui tendent à remplir de vanité l’esprit du lecteur au grand déshonneur de Dieu et au détriment des bonnes âmes. »

Cette condamnation de James Franklin est surtout remarquable en ce qu’elle fut l’œuvre du pouvoir populaire. Ce fut la cour générale qui s’arrogea le droit de juger et de condamner l’écrivain, et elle le frappa, non-seulement sans l’intervention du jury, mais sans aucune forme de procès, sans débat contradictoire, et sans dire où elle puisait cette autorité. C’est la première affaire où la liberté ne la presse se soit trouvée en jeu en Amérique. Les législatures coloniales, à l’imitation du parlement anglais, n’hésitèrent jamais à se croire affranchies, vis-à-vis des écrivains, de toutes les formes établies, et même du principe fondamental de la loi anglaise, qui est le jugement par jury ; mais les mœurs furent plus fortes qu’elles, et la révolution qui consacra l’indépendance des États-Unis consacra du même coup la liberté absolue de la presse.

James Franklin demeura un mois en prison, et le Courrier fut dirigé dans cet intervalle par le jeune Benjamin, qui sut, comme il le dit, trouver l’occasion de « donner sur les doigts à leurs adversaires. » James, qui, de sa prison, encourageait les vivacités de son livre, était loin de songer à modifier le ton de son journal. Le premier numéro qui fut publié après sa sortie de prison parut avec cette épigraphe, tirée d’un sermon célèbre du temps : « Et voici qu’après avoir anathématisé un homme et l’avoir abandonné au démon, quand le démon n’a pas pu ou n’a pas voulu le prendre, ils envoient le shérif et le geôlier ramasser les restes du démon. » On juge aisément de la glose qui accompagnait un pareil texte. C’était d’abord le vingt-neuvième chapitre de la grande charte, avec le commentaire tout entier de lord Coke, puis d’innombrables citations de jurisconsultes et de membres du parlement sur la liberté individuelle et sur la liberté de la presse. Ce fut le point de départ d’une polémique nouvelle, plus ardente encore que la première, et qui ajouta à l’irritation des adversaires du Courrier. Ceux-ci mirent à profit le ressentiment des autorités et l’influence du clergé, et six mois ne s’étaient pas écoulés que James Franklin se vit un second démêlé avec la cour générale. L’accusation s’empara cette fois d’un article sur l’hypocrisie, où l’on maltraitait les hypocrites de toute sorte, mais où il n’était fait mention d’aucun nom propre ni d’aucune classe de personnes. Voici le passage le plus saillant de l’article coupable ; il semble bien difficile d’y démêler la moindre allusion : « On a raison de dire que la religion est la chose essentielle, mais trop de religion est pire