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Post, il lui fit prendre le format, l’aspect et la distribution des journaux de Londres. L’Evening Post vécut vingt-trois ans entre les mains de Fleet et des fils de celui-ci. L’impartialité de sa rédaction, le mérite de ses articles politiques, l’abondance et la variété de ses renseignemens, le choix de ses nouvelles, assuraient à l’Evening Post le premier rang parmi les feuilles politiques de la Nouvelle-Angleterre. Il eut été à la tête de toute la presse américaine, si Benjamin Franklin n’était rentré dans la carrière.

Nous avons vu Franklin quitter Boston dans l’été de 1723. C’est dans les mémoires de ce grand homme qu’il faut lire l’intéressante et instructive histoire des épreuves qui l’attendaient à Philadelphie d’abord, et ensuite en Angleterre. Cinq ans plus tard, nous retrouvons Franklin de retour à Philadelphie, établi sur la place du Marché, à la fois imprimeur, libraire et papetier, et faisant aussitôt, grâce à sa bonne conduite et à son activité, une rude concurrence, à son ancien patron Keimer, et même à André Bradford. Dès que Franklin se vit à la tête d’une imprimerie, en face de caractères souvent inactifs et de papier blanc, la démangeaison d’écrire le reprit, et il rêva de faire un journal. Il y en avait déjà un à Philadelphie, l’American Mercury, établi en 1720 par André Bradford, mais cette circonstance était loin de décourager Franklin. « Je fondais, dit-il, mes espérances sur ce que l’unique journal qui existât alors était tout à fait insignifiant, fort mal administré, dépourvu de tout agrément, et rapportait pourtant de l’argent à Bradford. » Franklin ne sut pas tenir son dessein secret, en attendant qu’il eût réuni les moyens d’exécution nécessaires, et Keimer, averti par une indiscrétion, s’empressa de devancer son jeune concurrent. Il distribua immédiatement dans Philadelphie un prospectus rempli des plus belles promesses, et fit paraître, dès les premiers jours de 1729, un journal qui portait ce titre monstrueux : l’Instructeur universel dans tous les arts et toutes les sciences, ou Gazette pennsylvanienne. Un homme moins avisé que Franklin eut été fort embarrassé ; en vrai journaliste, il avait sa vengeance toute prête. Il se fit le collaborateur bénévole de Bradford, pour relever le journal de celui-ci et arrêter l’essor de la feuille rivale. L’American Mercury publia, sous le titre de the Busy-Body (l’Officieux), une série d’articles sur les mœurs, les usages et les ridicules du pays, véritable galerie de satires morales, où l’imitation d’Addison est manifeste pour le style et pour les idées. L’allure en est assez vive et la langue en est bonne, mais le fond est des plus minces. Cinq ou six de ces articles sont l’œuvre exclusive de Franklin ; pour les autres, il fut aidé ou même suppléé par son ami Breintnall. Les deux collaborateurs, du reste, ne s’étaient point proposé de corriger la société, mais de se créer un cadre pour jeter le ridicule, à pleines mains sur le prospectus comme sur le journal de Keimer, et ils arrêtèrent tout net le développement de l’Instructeur universel.

Keimer ne put soutenir longtemps la lutte : à l’expiration du troisième trimestre, il fit offrir à Franklin, pour une bagatelle, son journal et ses quatre-vingt-dix abonnés. Franklin accepta immédiatement le marché : Keimer en était pour son mauvais procédé, et se trouvait lui avoir épargné tous les frais de premier établissement. Le premier numéro de la Gazette de Pennsylvanie, car tout le reste du titre disparut, qui soit sorti des presses de