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de bonne heure, l’un favorable et l’autre contraire à la suprématie de la métropole et à l’autorité des gouverneurs envoyés par elle : ces partis, à l’imitation de ceux qui divisaient l’Angleterre, avaient pris les noms de tories et de whigs. Des relations, éphémères d’abord, mais qui se cimentèrent et devinrent plus régulières et plus étroites avec le temps, s’étaient nouées entre les partis anglais et les partis qui leur correspondaient en Amérique. Cependant pour les whigs d’Angleterre les questions de liberté n’étaient guère encore qu’une arme de parti, et si les traditions de 1688 leur servaient à la fois d’enseigne et de bouclier, il n’y avait chez eux aucune hostilité ni pour la royauté ni pour l’église établie. Les whigs d’Amérique prenaient plus au sérieux et avaient plus à cœur les principes qui leur étaient communs avec l’opposition anglaise : sans le savoir peut-être, et assurément sans mesurer toute la portée et toutes les conséquences de leurs doctrines, ils allaient beaucoup plus loin que leurs coreligionnaires apparens ; ils ne dataient pas seulement de 1688, ils dataient volontiers de 1640 et marne de 1649. L’agitation religieuse, dont nous avons déjà parlé, avait eu pour objet de ramener à sa ferveur première le puritanisme languissant et dégénéré : les Whitefield, les Davenport, les Crosswell, en prenant le rôle de missionnaires et de prédicateurs ambulans, en allant de village en village dénoncer la tiédeur et l’infidélité du clergé presbytérien, en proclamant partout du haut de la chaire la nécessité du réveil religieux, ne s’étaient proposé que de rétablir dans sa rigueur l’orthodoxie calviniste. Toutefois il était impossible de raviver le puritanisme et de restaurer la suprématie de l’autorité spirituelle dans les affaires civiles, sans faire revivre en même temps le vieil esprit des pèlerins, qui, identifiant la société politique avec la société religieuse, où toute autorité dérivait de l’élection et où la décision de la majorité faisait loi, avait abouti directement à la souveraineté du peuple. Aussi le grand mouvement religieux qui, au XVIIIe siècle, transforma la Nouvelle-Angleterre eut-il pour conséquence immédiate une résurrection du républicanisme. La génération qui prépara et qui accomplit dans le Massachusetts la révolution arriva à la jeunesse et à la vie politique de 1740 à 1750. Cette génération, qui se croyait simplement libérale, était au fond républicaine : elle prétendait borner sa tâche à défendre les droits des colons et à repousser d’injustes empiétemens ; mais la conséquence logique des principes qu’elle invoquait, c’était la négation absolue de l’autorité de la métropole, c’était l’indépendance. Une part considérable dans la propagation de ces idées doit être rapportée à l’université d’Harvard, pépinière où se recrutait le clergé puritain, et qui conservait soigneusement comme le feu sacré les traditions des anciens jours. Les ouvrages d’Algernon Sidney, de Milton et de Locke y faisaient la base de l’enseignement du droit politique et du droit civil. C’est d’Harvard que sortirent presque simultanément - James Otis, délégué du Massachusetts au premier congrès révolutionnaire ; John Hancock, qui mit le premier son nom au bas de la déclaration d’indépendance ; Josiah Quincy, qui dès 1774 écrivait de Londres à ses concitoyens qu’il fallait « sceller leur témoignage de leur sang ; » Joseph Warren, qui tomba sur le premier champ de bataille de l’indépendance ; Samuel Adams, John Adams, Jonathan Mayhew, qui tous furent ou les précurseurs ou les directeurs du mouvement révolutionnaire.