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même intention sa célèbre brochure Common Sense, uniquement consacrée à démontrer les avantages de toute sorte que les colonies gagneraient à se déclarer et à se rendre indépendantes. Cette brochure, fort applaudie par les whigs, produisit une impression profonde, et il s’en vendit en quelques mois le nombre prodigieux de cent mille exemplaires. Ce succès encouragea Paine, à qui il donna à la fois un nom et de l’autorité : il renonça à son recueil pour publier de temps en temps, sous le titre de Crise Américaine, de petits pamphlets reliés l’un à l’autre par la communauté du litre et par un numéro d’ordre. Il en parut dix ou douze, à des intervalles inégaux, chaque fois que des circonstances graves demandèrent qu’on stimulât l’esprit public, et tous les témoignages contemporains s’accordent à constater l’action efficace que plusieurs de ces écrits exercèrent sur l’opinion.

Toutefois, ce qui parle plus haut que ces témoignages, ce qui atteste invinciblement l’influence considérable exercée par la presse sur un des plus grands événemens du XVIIIe siècle, ce sont les hésitations mêmes des patriotes les plus sincères et la défection de beaucoup d’entre eux. Il fallut de la part de la presse une prédication incessante et des efforts infatigables pour grouper et retenir la masse du peuple autour des chefs de l’opposition, pour prévenir et combattre les défaillances de l’opinion, pour entretenir la foi et l’ardeur dans les âmes à travers les épreuves d’une lutte prolongée. Il existait entre les colonies et la métropole bien des causes de désunion, mais il y avait aussi de puissans motifs de rapprochement, et la séparation pouvait être ajournée pour longtemps. Si l’on cherche attentivement quel était le fond des idées et des opinions dans la Nouvelle-Angleterre, on arrive aisément à se convaincre que l’Essai sur le droit canon et le droit féodal était l’expression fidèle de l’esprit public, et que d’une part le fanatisme puritain et les tendances démocratiques du Massachusetts, de l’autre l’intolérance religieuse et les institutions aristocratiques de l’Angleterre, créaient entre deux peuples sortis de la même souche un antagonisme inconciliable. On comprend à merveille que la Nouvelle-Angleterre, une fois engagée dans la lutte, y ait apporté toute l’énergie et toute la persévérance de la race anglo-saxonne, qu’elle ait entraîné et violenté en quelque sorte les autres colonies, qu’elle ait supporté presque à elle seule le poids de la guerre, et que l’indépendance ait été pour elle comme une représaille des persécutions autrefois subies par ses fondateurs ; mais qui éveilla ce fanatisme religieux et politique alors qu’il sommeillait ? qui évoqua ces souvenirs du passé ? qui passionna pour des questions théoriques cette population de laboureurs et de marchands ? qui l’anima d’un même esprit de sacrifice, sinon les hommes dont les noms se sont déjà tant de fois rencontrés sous notre plume ?

On prend d’habitude la date de 1776 comme le début de la révolution américaine ; nous dirions volontiers que cette date en marque le couronnement. C’est le 4 juillet 1776 que la déclaration d’indépendante fut définitivement votée. La même nuit, John Adams, dont l’éloquence avait emporté ce vote, écrivait à sa femme : « Hier a été décidée la plus grande question qui ait été débattue en Amérique, et jamais peut-être question plus grande n’a été agitée entre des hommes. Une résolution a été votée, sans le dissentiment d’une seule colonie, portant que les États-Unis sont et de droit doivent être