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des états libres et indépendans. Ce jour est maintenant passé. Le 4 juillet 1776 demeurera une époque mémorable dans l’histoire de l’Amérique. Je suis disposé à croire qu’il sera fêté par les générations à venir comme le grand anniversaire de la patrie. Il devrait être solennisé comme un jour de délivrance par des actes publics d’adoration envers le Dieu tout-puissant. Il devrait être, aujourd’hui et à tout jamais, célébré par des pompes, des processions, des jeux, des réjouissances, par le son du canon et des cloches, par des feux d’artifice et des illuminations, et cela d’un bout du continent à l’autre. Vous allez croire que l’enthousiasme me transporte : il n’en est rien. Je sais parfaitement tout ce qu’il va coûter de labeur, de sang et d’argent pour soutenir cette déclaration, pour détendre et faire vivre ces états nouveaux, et cependant à travers cette sombre perspective je puis voir que la fin vaut plus encore que tous les moyens qu’elle coûtera, je vois la postérité qui triomphe, quoique vous et moi puissions pleurer amèrement, et pourtant je ne suis pas sans espoir. » Le jour où une pareille lettre fut écrite par un père de famille à une femme justement adorée, le jour où de pareils sentimens étaient dans le cœur de tout un peuple, tout était consommé. La partie dramatique de la révolution, celle qui frappe les imaginations et se grave dans les mémoires, les vicissitudes de la guerre, les victoires et les revers, les alternatives de la joie et de la douleur, tout cela devait se dérouler encore pendant sept années, mais déjà une barrière infranchissable s’élevait entre les colonies et la métropole. L’Angleterre eût remporté vingt victoires, ses années eussent incendié toutes les villes, ses flottes détruit tous les ports des États-Unis, qu’elle n’aurait pu dompter la résistance des Américains ; pour avoir été retardé de quelques années, pour avoir été acheté au prix de plus grands malheurs et par une plus grande effusion de sang, l’inévitable dénoûment de la lutte eût été l’indépendance de l’Amérique. L’épée de Washington ne fit que défendre une révolution déjà accomplie par l’opinion ; mais former cette opinion, briser un à un tous les liens que la tradition, l’habitude, l’affection, les souvenirs de famille, les services réciproques avaient établis entre les colonies et la métropole, éveiller dans le peuple le sentiment de ses droits et la conscience d’un avenir distinct de celui de l’Angleterre, habituer ce peuple à séparer dans l’idée de patrie la terre américaine de cette autre terre natale qu’il avait coutume d’appeler ses foyers [home) ou son vieux pays [old country), l’amener à envisager de sang-froid et même à désirer une rupture, créer un esprit national américain, enfanter enfin l’indépendance morale dont l’indépendance matérielle ne fut que la conséquence et la consécration, ce fut l’œuvre de la presse durant dix longues années, et, de l’avis de John Adams lui-même, « ce fut là vraiment la révolution américaine. »


CUCHEVAL-CLARITY.