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de la misère irlandaise ? Nullement. Encore aujourd’hui ce pays porte partout les stigmates de la famine : mais, je l’avoue, le Connemara est une exception dans le Connaught, comme le Connaught est une exception en Irlande. Pour montrer jusqu’où pouvait aller la loi des pauvres, j’ai pris les cas les plus extrêmes. Les unions qui avoisinent celles de Clifden et de Westport se rapprochent davantage de la moyenne, non pas de l’Irlande, mais du Connaught.


livr. sterl.
A Balinrobe, l’évaluation du revenu est de 85,217
Le poor rate a été en 1849 de 39,844
A Castlebar, l’évaluation du revenu est de 50,000
Le poor rate a été en 1810 de 32,000

Or, si l’on considère que, d’un côté, dans les parties les plus malheureuses de l’Irlande, le revenu a diminué depuis l’évaluation cadastrale, que, d’un autre côté, là plus qu’ailleurs les propriétés sont grevées d’hypothèques, on se trouve, pour une portion du Connaught, en présence de cette situation économique également fatale au propriétaire et au tenancier : tous les bénéfices de la propriété qui ne sont pas consacrés au paiement des créanciers hypothécaires sont absorbés par l’entretien des poor houses ! Tant que durera un pareil état de choses, toute amélioration est impossible dans la condition du propriétaire et dans celle du pauvre, tout progrès social est arrêté. L’expropriation des uns, l’expatriation des autres, sont les seules solutions d’une question ainsi posée. Il semble qu’il ne s’agisse plus de créatures humaines, mais de choses inanimées, et que la mort seule puisse engendrer la vie. La première fois que je vins en Irlande, sur le chemin de fer de Kingstown à Dublin, que l’on prend en descendant du paquebot d’Holyhead, un voyageur me demanda si j’avais jamais vu l’Irlande, et il ajouta : « C’est un pays bien malheureux, qui sera bien riche quand tous les anciens propriétaires seront dépossédés, et quand tous les anciens habitans auront disparu. » En visitant plus tard le Connaught, je me rappelai cet odieux propos. Pendant quelques années, on frémit de le dire, les faits ont été en harmonie avec les vœux les plus sacrilèges. Les cœurs humains étaient prêts à désespérer. Heureusement une logique infernale ne gouverne pas le monde, et il arrive un moment où le mal combat lui-même le mal.

À côté des mesures prises par le gouvernement pour combattre la famine se place un fait considérable qui les a merveilleusement secondées, et qui les domine en quelque sorte. L’émigration d’un grand nombre d’Irlandais, cette émigration provoquée par l’excès de la misère et du désespoir, a amélioré la condition de ceux qui restent dans leur pays. La Providence, en donnant une bonne récolte l’année dernière, en permettant d’espérer une récolte encore plus