Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/519

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop souvent, il y a quelques années encore, en Irlande, il aurait fallu partager entre douze familles un bénéfice de 500 francs et faire vivre là-dessus une cinquantaine d’individus. Si même la personne dont je viens de faire le compte avait eu pour unique industrie l’exploitation d’une ferme de douze acres, elle aurait misérablement vécu. En effet, un des plus grands malheurs de l’Irlande était la subdivision infinie des locations dans les parties où on ne cultive que des denrées alimentaires et où les produits exceptionnels ne donnent pas des prix rémunérateurs pour le travail à la main. Peut-être le plus grand progrès économique qui se soit produit est la réduction du nombre des petites fermes qu’essaient d’effectuer les propriétaires, et qui ne peut s’opérer que grâce à l’émigration. La division à peu près égale des terres à cultiver entre tous les habitans était un des fléaux de l’Irlande. Autant de chefs de famille, autant de fermes. Bien peu pouvaient vivre convenablement sur les produits de la terre qu’ils cultivaient, et aucun ne pouvait trouver de l’ouvrage ailleurs.

En deux ans seulement, à partir de 1847, le nombre des fermes au-dessous d’un acre a diminué de quarante mille, et celui des fermes d’un acre à cinq acres de plus de trente-trois mille. Ce mouvement s’est continué depuis. Beaucoup de petits tenanciers deviennent des journaliers ; ils travaillent dans les fermes agglomérées, et reçoivent un salaire. Si la terre rapporte moins d’une manière absolue, le bénéfice relatif que l’on en retire est plus considérable, et le nombre des malheureux dont l’existence dépend uniquement de la récolte des pommes de terre a infiniment diminué. Ainsi des fermiers riches et des prolétaires certains de trouver du travail, en d’autres termes des capitaux et des salaires, voilà le premier pas vers la destruction du paupérisme en Irlande. Les faits, on le voit, n’y plaident pas en faveur des doctrines socialistes. J’étais, il y a un an, dans le Munster ; les fermiers parlaient toujours de réductions de loyer et demandaient des abattemens. Croire à un meilleur avenir pour l’Irlande passait encore pour être un trait de vanité nationale. À cette heure, chacun dit qu’aucun pays du monde n’est plus fertile. On raconte que la récolte d’un acre peut se vendre jusqu’à 1000 francs. Après chaque foire de village, on prétend qu’il s’est vendu autant de bestiaux qu’à la foire de Ballinasloe, ce qui est pour le fermier irlandais l’expression superlative de l’abondance.

En réalité, l’influence combinée de l’émigration, du free trade, des changemens agricoles et des habitudes meilleures se fait fortement sentir en Irlande ; la valeur de la propriété se relève, les dernières ventes accusent une augmentation de prix d’un tiers sur ceux d’il y a trois ans. Grâce au prix des bestiaux, qui se maintient, les fermiers font des bénéfices. Il est vrai que le revenu de la terre ne s’est encore que faiblement accru depuis la famine ; cela tient à un