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situation, pour peu qu’on réfléchisse à la nature et à l’étendue de la propriété en Irlande. Tandis que le propriétaire devient insolvable s’il se montre humain, le pauvre a pour compensation la possibilité d’aller chercher en prison une nourriture de trois sous par jour, et d’abandonner pour cette maigre pitance sa femme et ses enfans, qui viendront bientôt le joindre. Il y a donc un vice radical dans la situation, elle est immorale et cruelle ; la question est toujours la même avant et après les lois des pauvres, avant et après la famine, avant et après l’émigration et l’institution de la cour des encumbered estates. À peine le terrain est-il déblayé d’un côté, que la source du mal jaillit d’un autre. Un gouvernement ne peut se proposer pour but, ni de déposséder successivement les propriétaires de la terre, dans l’espérance qu’elle s’engraissera des capitaux que chacun y versera avant sa ruine, ni de chasser les gens de leur pays. La Providence n’a pas créé une race d’hommes pour être impuissante à vivre sur son sol natal et capable de prospérer ailleurs. Il est insensé de reprocher aux gouvernemens les malheurs inhérens à toute société humaine ; mais, quand la mesure ordinaire du mal est de beaucoup dépassée, on a le droit de leur reprocher l’excès de l’infortune, et la raison et l’impartialité accusent alors à juste titre la législation.


II

Il faut le reconnaître, beaucoup de personnes croient qu’il y a dans la force des choses en Irlande un obstacle qui résiste à tous les essais de réforme. Au moment où l’œuvre de la réparation est aux trois quarts achevée, on semble prêt à désespérer. Le découragement s’est emparé dernièrement des hommes d’état les plus généreux. Comment une tiédeur subite a-t-elle pu succéder à l’ardeur qui emporta le grand acte de l’émancipation des catholiques ? Depuis vingt ans que l’Angleterre a rompu avec les anciens erremens de sa politique irlandaise, elle a brisé un à un chacun des chaînons de la tyrannie. En imposant le propriétaire au profit du pauvre, elle a frappé le protestant en faveur du catholique ; en fondant des écoles laïques, elle a mis à la portée des hommes de toutes les croyances des moyens d’instruction. Des fonctionnaires des deux cultes remplissent sur un pied d’égalité des emplois publics. Chaque jour, le gouvernement n’est-il pas l’objet d’attaques passionnées, parce qu’il a admis dans son sein des Irlandais catholiques ? Ce sont là de grands changemens, ils ont exigé de la part du gouvernement anglais des efforts considérables, et quelle récompense a-t-il recueillie pour les progrès faits dans la voie de la justice ?

À en croire les discours de ceux qui représentent l’Irlande, les tories comme les radicaux, la situation matérielle du pays s’est peu améliorée ; quant à