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souffert le peuple ; il personnifie son malheur et son histoire. Si puissante en ce qui concerne les mœurs, la nationalité irlandaise est plus vraie en religion qu’en politique. Depuis longtemps, elle n’aspire plus à l’indépendance absolue ; elle tend seulement à créer un empire dans l’empire. C’est avec une grande raison que M. Burke écrivait il y a soixante ans : « Prenez garde, le catholicisme en Irlande n’est pas seulement une religion, c’est aussi une nationalité. » Bien plus, à côté de l’abandon de soi-même et d’une imprévoyance dégradante, par une noble réaction de la nature humaine, l’âme du pauvre en Irlande s’élève à une contemplation passionnée du bonheur éternel. Le malheur a engendré chez lui un état moral mélangé d’insouciance et d’enthousiasme, de ce qu’il y a de plus abject, et de plus élevé, et qu’on peut appeler le mysticisme de la misère. Tout le porte à rester fidèle à la vieille religion, pour me servir de son expression habituelle, et au clergé qui le soutient par ses consolations spirituelles, alors que tout secours humain paraît impuissant.

En un sens, les ennemis du clergé irlandais ont raison : il n’y a de questions politiques véritablement graves dans ce pays que les questions religieuses ou celles adoptées par le clergé. La paix avec l’église peut seule diminuer l’agitation permanente des esprits, et la sanction morale de l’acte d’union, c’est un concordat avec Rome. Oui, la situation actuelle de l’église catholique d’Irlande perpétue le malaise, accroît le trouble des esprits, maintient l’état chronique de désaffection qui ronge ce beau pays. C’est un grand malheur pour l’Irlande que l’action de la religion et celle de la civilisation y soient en quelque sorte ennemies, c’est un grand malheur pour l’église, pour le gouvernement et pour le peuple. Il serait grand temps de faire cesser une guerre qui produit la misère et le crime : dans ce pays, la responsabilité morale est cruelle pour ceux qui gouvernent comme pour ceux qui sont chargés du salut des âmes.

On ne voit pas sans surprise les hommes s’indigner, s’irriter même quand, dans le champ de la morale et de la politique, ils récoltent ce qu’ils ont semé. On a fait des lois pour empêcher les catholiques irlandais d’acquérir l’instruction et la richesse, puis on s’étonne de leur ignorance et de leur misère. On maintient le clergé catholique dans une situation extra-légale, en même temps on s’indigne de ne pas trouver en lui une force gouvernementale ; ses principes sont attaqués au nom de la liberté, et sa conduite est accusée au nom de l’ordre. Évidemment, tout principe d’autorité possède une tendance vers le despotisme. L’Angleterre elle-même, qui a su si glorieusement trouver les moyens de concilier l’ordre et la liberté, en offre plus d’un exemple. Sous la reine Anne, la chambre des lords n’a-t-elle pas ordonné que le fameux décret de l’université d’Oxford