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à l’autorité publique, tout importante qu’elle soit, semble aux contemporains à peine digne d’une mention. Cependant, après que d’irréparables désastres provoqués par l’imprévoyance de la royauté et la folle témérité de la noblesse eurent, dans le cours du XIVe siècle, ouvert la France à l’ennemi, décimé sa population et anéanti toutes les ressources de la monarchie, il s’opéra dans l’esprit de la bourgeoisie un changement notable, et son attitude, jusqu’alors si effacée aux états-généraux, se trouva tout à coup transformée.

Aux demandes réitérées de subsides provoquées par les calamités de la guerre et par les dilapidations princières, les représentans des villes répondirent par des plaintes suivies bientôt après de menaces et de projets pour l’entière réformation de l’état. Lorsque, après la bataille de Poitiers, la France vit son roi prisonnier et la plupart de ses gentilshommes tués ou captifs, les bourgeois se prirent, au dire de Froissart, « à parlementer et à murmurer, à tant haïr et blâmer les chevaliers et escuyers retournés de la bataille, que envis ils s’embatoient ès-bonnes villes. » Dans cette fermentation générale, accrue chaque jour par l’annonce de nouveaux malheurs, huit cents députés, dont quatre cents de la bourgeoisie, entreprirent la réforme du gouvernement avec une ardeur qui ne tarda pas à leur faire dépasser le but. Délibérant sans distinction d’ordres et avec toute la violence des temps révolutionnaires, l’assemblée de 1356 forma dans son sein une sorte de comité de salut public ; elle notifia à la royauté, représentée par un jeune prince écrasé sous le coup qui venait d’atteindre son père, des résolutions qui allaient à déclarer les états à peu près souverains en toute matière ; elle exigea la mise en accusation des conseillers du roi, la destitution en masse des magistrats, et le droit de se réunir désormais en tout temps sans nulle convocation royale. C’était la république supplantant la monarchie.

Effrayés d’un mouvement auquel ils s’étaient associés sans en mesurer la portée, les députés ecclésiastiques désertèrent l’assemblée ; il en fut de même de ceux de la noblesse, moins propres à discuter des plans d’organisation politique et financière qu’à mourir bravement une hache d’armes à la main, et qui aimaient mieux chercher leur revanche de Crécy et de Poitiers que tenir tête aux gens du tiers. Les états, abandonnés par les deux premiers ordres, subirent alors sans contre-poids la pression de la plus basse démocratie, et les bourgeois se trouvèrent à la merci de passions populaires qu’ils étaient fort inhabiles à réfréner. Alors se déroula cette longue série d’évènemens dont on avait déjà fait ressortir le caractère étrange et presque prophétique, mais que l’auteur de l’Histoire du tiers-état a placé dans un cadre où ils ne peuvent manquer de fixer tous les regards et d’éveiller toutes les pensées. Une assemblée désertée par le clergé et par la noblesse, et dans laquelle le tiers-état domine seul ; l’autorité