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blâmer la bourgeoisie d’avoir suscité ce grand mouvement, qui n’était pas moins patriotique que religieux, et qui achevait l’œuvre de Jeanne d’Arc en arrachant la France au joug intellectuel de l’Angleterre, il faudrait l’en féliciter hautement, surtout lorsqu’on recherche avec une curiosité aussi pieuse que celle de M. Thierry jusqu’aux plus faibles symptômes du génie politique dans les rangs du tiers-état. La seconde moitié du XVIe siècle est certainement l’époque où la bourgeoisie a le moins mérité le reproche qu’on avait pu lui adresser antérieurement et qui continue malheureusement à l’atteindre depuis. En maintenant résolument la religion par laquelle vivait la France, en sachant s’unir, agir et mourir au besoin pour elle, la bourgeoisie s’appuyait sur ce qui lui a manqué trop souvent, sur une idée générale prise en dehors de ses intérêts privés ; son cœur battait pour une passion désintéressée et généreuse ; elle rencontrait une cause qui était moins la sienne que celle du pays tout entier.

N’oublions pas d’ailleurs que ce fut du sein des parlemens et des corporations municipales, d’abord très vivement engagés dans la ligue, que sortit enfin la grande transaction qui rendit à la France le signalé service d’y conserver l’intégrité de la religion nationale et celle du système monarchique. Malgré les tempéramens de la conduite et du langage, le parti politique auquel appartiennent les hommes les plus considérables de cette époque était au fond aussi ferme que les ligueurs les plus fanatiques sur la nécessité de mettre la monarchie héréditaire en harmonie avec le sentiment national, et, si l’abjuration de Saint-Denis n’avait opéré cette conciliation, la ligue aurait infailliblement triomphé jusque dans ses plus extrêmes conséquences. La haute sagesse de Henri IV empêcha seule de se réaliser alors, sous les auspices de l’église et de l’esprit municipal, ce que j’ai quelque droit d’appeler l’idée-mère de M. Thierry, l’érection d’une dynastie nouvelle élevée et maintenue par les seuls efforts du tiers-état. La maison de Guise aurait nécessairement représenté la bourgeoisie triomphant dans sa foi et dans son influence ; cette maison se serait trouvée conduite à constituer une monarchie populaire sur la base d’une vaste fédération municipale, c’est-à-dire sur le principe contraire à celui de la centralisation que la royauté capétienne avait fait prévaloir depuis Louis le Gros, et dont Richelieu était à la veille de tirer les dernières conséquences. Ce sont là des hypothèses rétrospectives un peu hasardées sans nul doute, mais qui, flattant, bien loin de les contredire, les plus chères aspirations de l’historien du tiers-état, devraient modifier, ce semble, la rigueur de ses jugemens sur l’acte politique le plus décisif auquel la classe moyenne ait jamais attaché son nom. De toutes les tentatives essayées par la bourgeoisie française dans le cours de son histoire, celle du XVIe siècle