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à une demi-lieue de Chambéry, où J.-J. Rousseau raconte qu’il a passé les momens les plus heureux de sa vie. Les écrits de cet auteur faisaient sa seule consolation. Elle eut un jour un moment de bonheur délicieux. Au détour d’un sentier, dans le petit bois de châtaigniers, vis-à-vis la modeste maison des Charmettes, elle trouva Alfred. Elle ne l’avait pas vu depuis quinze jours. Il lui proposa avec une timidité qui enchanta Mina de quitter le service de Mme Cramer et d’accepter de lui une petite inscription de rente. « Vous auriez une femme de chambre, au lieu de l’être vous-même, et jamais je ne vous verrais qu’en présence de cette femme de chambre. » Aniken refusa par des motifs de religion. Elle lui dit que maintenant Mme Cramer était excellente pour elle, et lui semblait se repentir de la conduite qu’elle avait tenue en arrivant à Aix. — Je me souviens fort bien, finit-elle par lui dire, des calomnies dont j’ai été l’objet de la part de Mme de Larçay ; elles me font un devoir de vous prier instamment de ne plus revenir aux Charmettes.

Quelques jours plus tard, elle alla à Aix ; elle fut fort contente de M. de Ruppert. Mme de Larçay et ses nouvelles amies profitaient de la belle saison pour faire des excursions dans les environs. À une partie de plaisir que ces dames firent à Haute-Combe (abbaye située de l’autre côté du lac du Bourget, en face d’Aix, et qui est le Saint-Denis des rois de Sardaigne depuis 1814), M. de Ruppert, qui, d’après les instructions de Mina, n’avait pas cherché à être de la société de Mme de Larçay, se fit remarquer errant dans les bois qui environnent Haute-Combe. Les amis de Mme de Larçay s’occupèrent beaucoup de cet acte de timidité chez un homme connu par son audace. Il leur sembla clair qu’il avait conçu pour elle une grande passion. Dubois apprit à Mina que son maître vivait dans la plus sombre mélancolie. — Il regrette une aimable compagnie, et, ajouta Dubois, il a un autre sujet de chagrin. Qui l’eût dit d’un homme si sage ? M. le comte de Ruppert lui donne de la jalousie !

Cette jalousie amusait M. de Ruppert. — Voulez-vous me permettre, dit-il à Mlle de Wangel, de faire intercepter par ce pauvre Larçay une lettre passionnée que j’écrirai à sa femme ? Rien ne sera plaisant comme les dénégations de celle-ci, s’il se détermine à lui en parler. — A la bonne heure, dit Mina ; mais surtout, ajouta-t-elle d’un ton fort dur, songez à ne pas avoir d’affaire avec M. de Larçay ; s’il meurt, jamais je ne vous épouse.

Elle se repentit bien vite du ton sévère avec lequel elle avait dit ce mot, et s’appliqua à se le faire pardonner. Elle s’aperçut que M. de Ruppert n’avait pas senti la dureté du mot qui lui était échappé et son éloignement pour lui. M. de Ruppert lui conta que