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pris dès leur enfance le goût de cette vie aventureuse et nomade, ne se laisseront pas aisément persuader qu’ils doivent préférer la paisible culture d’un champ de riz. Ils mourront comme ils ont vécu, et la guerre que la civilisation leur déclare aujourd’hui ne peut être qu’une guerre d’extermination. Que l’on se rappelle combien il a fallu expédier d’escadres sur les côtes d’Afrique pour châtier les pirates barbaresques. Il y a à peine trente ans que la Méditerranée est libre ; en 1816, lord Exmouth a trouvé à Alger plus de mille esclaves chrétiens. C’est seulement depuis 1830 que la piraterie a complètement disparu. Les Malais ne seront pas moins tenaces, et ils ne désarmeront que le jour où le pavillon européen, flottant sur toute l’étendue de leurs côtes, les aura chassés définitivement de leurs repaires.

Les navires européens sont rarement attaqués par les pirates : encore faut-il que les capitaines fassent bonne garde et qu’ils aient sans cesse leurs canons chargés ; malheur à ceux qui se laisseraient surprendre en temps de calme ! Les Malais sont très agiles à l’abordage, et une fois sur le pont, ils se rendent bientôt maîtres du bâtiment. Quant aux navires échoués ou naufragés sur leurs côtes, c’est une proie facile, et le pillage s’effectue avec une dextérité prodigieuse. L’équipage est massacré, la cargaison enlevée, l’eau-de-vie bue sur place : en pareil cas, les tribus les plus inoffensives sentent s’éveiller en elles l’amour du butin, et elles font cause commune avec les pirates, sauf à leur disputer ensuite les dépouilles de l’ennemi. Ces sinistrés, il est vrai, sont peu fréquens, et l’on pourrait citer, dans toutes les mers, des exemples de cruautés commises par les indigènes sur les équipages naufragés. Ce sont principalement d’ailleurs les barques malaises et les innocentes jonques chinoises qui excitent la convoitise des pirates. Lorsque la navigation est peu active, ceux-ci débarquent, et vont dans l’intérieur envahir les tribus qui se livrent à l’agriculture ; ils détruisent les plantations, pillent les cases, emmènent la population en esclavage ; puis, remontant sur leurs pros, ils partent vers une autre, île où le butin est vendu au profit de la bande. On comprend que de semblables pratiques entravent le développement des échanges réguliers et l’exploitation des richesses naturelles du sol. Le commerce européen en souffre par contre-coup, et dès lors il semble rationnel qu’indépendamment des intérêts de la civilisation et de la morale, l’intérêt mercantile ait déterminé les divers gouvernemens à rétablir dans ces parages voisins de leurs établissemens coloniaux la sécurité des communications et des affaires.

Sir James Brooke, ou si l’on aime mieux le rajah Brooke, a pris une grande part, et une part très honorable, à la répression de la piraterie. Après s’être installé à Sarawak comme souverain indigène, il a installé l’Angleterre à Laboan, dont il a été nommé gouverneur au nom de la reine Victoria. Rajah, il est parvenu à introduire des habitudes d’ordre et de travail parmi les tribus soumises à son pouvoir absolu ; gouverneur de Laboan, il a disposé des bâtimens de guerre anglais pour diriger à propos de fréquentes expéditions contre les Sakarrans et les Serebas, les plus incorrigibles pirates de Bornéo. En 1843 et 1844, le capitaine Keppel, commandant la frégate Dido, a vigoureusement concouru à l’œuvre entreprise par le rajah Brooke, et il a publié à son retour un livre intéressant dont la Revue a rendu