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si ces populations sont aptes à recueillir l’héritage de la domination ottomane. L’intérêt des chrétiens orientaux n’est-il pas plutôt de se préparer à recueillir cet héritage ? Le jour où les populations grecques, par leur développement moral, intellectuel, civil, réuniraient les conditions d’une nationalité compacte et forte, la question d’Orient, il faut en convenir, aurait fait un grand pas et se présenterait sous une face nouvelle. Quoi qu’il en soit de cette idée d’un empire grec qui échauffe aujourd’hui plus d’une imagination en Orient, et qui a produit déjà plus d’une brochure dans le jeune royaume hellénique, ces espérances, aussi bien que les crises de l’empire turc, sont des symptômes sur lesquels l’Europe doit avoir l’œil fixé désormais, non certes pour aider à aucune combinaison factice, non pour ébranler d’une main ce qu’elle est forcée d’étayer périodiquement de l’autre, mais pour faire sa part à l’intérêt occidental dans toutes les transformations que la force invincible des choses peut faire naître.

De tels problèmes sont certainement la plus puissante diversion que le caprice des événemens puisse jeter parfois dans la vie intérieure d’un pays. Ce. n’est pas seulement sur les esprits d’élite, inclinés par nature vers l’étude des spectacles politiques, qu’ils exercent leur influence, ils réagissent sur tout, sur le mouvement de chaque jour, sur le développement des affaires et des intérêts qu’ils ralentissent, et par là ils deviennent une préoccupation universelle, même chez bien des gens qui ne se soucient point autrement du Grand-Turc, il en est ainsi en France depuis quelque temps, nous l’avons déjà remarqué, et il en sera ainsi tant qu’il restera quelque incertitude. Qu’a-t-il fallu, il y a peu de jours, sinon pour balancer l’intérêt des événemens d’Orient, du moins pour fixer assez vivement l’attention publique ? C’est une coïncidence singulière qui, à côté de ces questions souveraines de la paix ou de la guerre, du développement et de l’équilibre des peuples, est venue placer une question d’un genre bien différent, vulgaire en apparence et touchant néanmoins à l’existence matérielle tout entière du pays. On s’est demandé un moment si la France n’était point menacée d’une disette. La rigueur et l’inconstance de la saison ont fait craindre une insuffisante récolte. Heureusement ces craintes sont dissipées aujourd’hui, et si l’approvisionnement probable de la France n’égale point ce qu’il est dans les années abondantes, il suffit pour ne laisser place à aucune inquiétude sérieuse. On n’ignore pas quelle influence peuvent exercer parfois ces questions de subsistances sur l’état politique du pays. Ce serait beaucoup dire sans doute que de signaler, comme le fait l’auteur d’un mémoire récent, une sorte d’intime lien entre les périodes de disette et les époques les plus agitées de notre siècle. Il n’en est pas moins vrai qu’il y a soixante ans la révolution française commençait sous l’empire d’une famine, et qu’on échappait à peine à une des plus rigoureuses années, lorsque éclatait la catastrophe de 1848. Ce n’est pas seulement en France au surplus qu’on a pu craindre une insuffisance de grains ; il en est de même en Italie ; et en Espagne, depuis bien des mois déjà, il y a une province tout entière, la Galice, qui est en proie à une affreuse famine, à laquelle on n’a pu porter encore remède. Étrange contraste pourtant qui est fait pour diminuer un peu l’orgueil de notre triomphante civilisation ! Le genre humain est en perpétuel enfantement de toute sorte d’inventions ;