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livres récens remettaient sous nos yeux en même temps, comme pour rendre le contraste plus saisissant. Ces deux momens sont la période qui a précédé immédiatement la révolution et la terreur ; ces deux ouvrages sont un livre de Mémoires d’une femme d’esprit de l’ancienne société française, de la baronne d’Oberkirch, et la suite de l’Histoire de la Convention nationale de M. de Barante. Mais qu’était-ce donc que la baronne d’Oberkirch ? C’était une personne née d’une grande famille alsacienne, ayant vécu dans l’intimité des princes de Montbéliard-Wurtemberg, conduite plus tard à Paris et naturellement amenée à figurer dans le plus grand monde. La baronne d’Oberkirch avait été l’amie intime de cette princesse de Wurtemberg qui fut la femme du grand-duc, depuis empereur Paul de Russie. Cette amitié s’était continuée et entretenue par une correspondance assidue. Lors du voyage fait en France en 1782 par le grand-duc et la grande-duchesse de Russie, sous le nom du comte et de la comtesse du Nord, la baronne d’Oberkirch était là, elle assistait à toutes les réceptions, à tous les spectacles de la cour ; elle était vue avec faveur par la reine. En 1784 et 1786, elle renouvelait ses voyages à Paris. C’était assurément une femme d’esprit, observant bien, racontant simplement, n’oubliant rien surtout. Ses Mémoires, qui ombrassent une vingtaine d’années jusqu’à 1789, perdent sans doute en venant après tant d’autres publications de ce genre. Leur intérêt est de reproduire encore une fois tout ce monde brillant et frivole marqué déjà au front du signe inexorable. Encore quelques années à peine, et parmi tous ces personnages dans la familiarité desquels vous fait entrer l’auteur de ces Mémoires, quel est celui qui survivra ? quel est celui qui répondra à l’appel ? Les femmes elles-mêmes auront disparu dans la tempête, Marie-Antoinette comme la princesse de Lamballe. Le grand-duc Paul, l’époux de Marie Federowna, devenu empereur, sera, lui aussi, mort assassiné. Au milieu des frivolités de son récit, la baronne d’Oborkirch du reste laisse percer parfois le pressentiment des catastrophes prochaines. En écrivant les noms des grands seigneurs de la cour, elle ajoute : « Je les trace avec un plaisir mélancolique, sait-on ce qui arrivera ? » Et quand elle clôt ses Mémoires, juste en 1789, sous le coup de la prise de la bastille et des désordres révolutionnaires qui envahissent jusqu’au comté de Montbéliard, elle ne peut s’empêcher de dire : « Nos enfans sont venus au monde dans un triste moment ! » C’est là que s’arrête la baronne d’Oberkirch dans son récit.

Allez un peu plus loin maintenant, vous assisterez à la tragédie, vous verrez toute celle société s’abîmer dans ce gouffre sanglant où pénètre M. de Barante, la lumière de l’histoire à la main ; vous venez à l’œuvre le plus gigantesque effort de destruction auquel il ait été donné à l’homme d’assister. Le mérite de l’Histoire de la Convention nationale, aujourd’hui terminée, c’est de raconter simplement, nettement, cette effroyable époque, c’est de montrer tous ces hommes dans leur petitesse réelle, dans leur orgueil sanguinaire, dans leurs contradictions. Ils n’étaient point, certes, aussi grands qu’on se plaît à le dire souvent par une étrange manie d’apothéose rétrospective. On a imaginé de créer, pour expliquer ce temps, une sorte de fatalité grandiose et terrible, dans la réalité, c’était une lutte forcenée d’hommes aveuglés par la fureur et par le sang, et qui, après avoir détruit tout ce qu’ils trouvaient devant eux, finissaient par se détruire les uns les autres, sauf à dire comme