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club des fermiers de Londres, car les sociétés de ce genre foisonnent en Angleterre, une conversation fort intéressante a eu lieu sur les mérites comparatifs des machines à vapeur fixes et des portatives pour l’agriculture. Un des principaux fabricans d’instrumens aratoires du comté de Suffolk, M. Ransome, a pris la parole. Dans un discours parfaitement technique, qui a été rapporté par tous les journaux agricoles, et qui suppose dans ceux qui l’écoutaient des connaissances assez étendues en mécanique, il est entré dans les détails les plus précis sur la construction des machines à vapeur, et, après avoir longuement parlé de haute et basse pression, de bouilleurs, etc., il a conclu que les machines fixes, étant les plus économiques, devaient être préférées toutes les fois que l’exploitation était assez considérable et assez concentrée pour les occuper, mais que dans les moindres fermes la machine portative valait mieux, parce qu’elle permettait à plusieurs cultivateurs de s’associer pour en avoir une, et de participer ainsi aux avantages de son emploi. Cette opinion a été partagée par le club, et la Société royale s’y est ralliée, car elle a primé en même temps une machine fixe et une portative ; c’est Clayton qui a eu les deux prix.

Voilà donc la machine à vapeur tout à fait naturalisée dans l’agriculture. C’était un beau et curieux spectacle que de voir à l’exposition de Glocester ces 23 machines mises pour la plupart en mouvement par le souffle de feu qui les anime, et accomplissant sous les yeux du public leurs principaux travaux, ballant le blé, hachant la paille, broyant les fèves et les tourteaux, etc. La machine portative de Clayton, de la force de 6 chevaux, consommant 30 livres anglaises de charbon par heure, ou 13 kilos 600 grammes, coûte 220 livres sterling ou 5,500 francs ; une autre, de la force de 4 chevaux seulement, consommant 24 livres anglaises de charbon par heure, coûte 180 liv. ou 4,500 francs. La machine fixe, de la force de 6 chevaux, coûte 165 livres ou 4,125 francs. Ces prix sont sans doute élevés ; mais, tels qu’ils sont, ils ne sont pas inabordables pour un grand nombre de fermiers anglais, et ils se réduiront sans doute. Même en Angleterre, les plus utiles machines n’entreront largement dans les habitudes qu’autant qu’elles seront à bon compte. En Amérique, elles sont généralement à meilleur marché qu’en Angleterre, et les consommateurs anglais se plaignent avec raison de cette différence, qui ne peut pas durer.

Ce que j’en dis n’est pas pour engager les cultivateurs français à adopter aveuglément toutes ces machines. Pour les neuf dixièmes de la France au moins, c’est un progrès qui ne peut s’accomplir qu’après avoir été précédé par beaucoup d’autres. Tout se lient dans l’organisation agricole d’un pays, et l’organisation agricole elle-même n’est qu’une part de l’ensemble économique et social. Même dans cette portion du territoire français qui se trouve dans des conditions économiques analogues à celles de l’Angleterre, l’importation des machines anglaises ne peut se faire utilement qu’avec de grands ménagemens. Le haut prix du fer, l’inexpérience de nos fabricans, la mauvaise volonté de nos ouvriers ruraux, moins accoutumés que les Anglais à l’usage des machines, la diversité de nos cultures, la division plus grande de nos exploitations, le défaut de capital chez beaucoup de nos cultivateurs, la densité de notre population agricole, tout met des obstacles à cette importation.