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du cultivateur ne lui paraît comparable qu’à celle du marin qui conduit sa barque au milieu des tempêtes de l’océan. « Comme le marin, s’est-il écrié, vous luttez sans cesse contre les vicissitudes des élémens. Vous ne pouvez arrêter les déluges de pluie, mais vous écoulez par le drainage l’humidité surabondante ; vous ne pouvez prévenir la sécheresse, mais vous pulvérisez la terre par vos machines à une telle profondeur, vous donnez une telle vigueur aux plantes par vos engrais, que vous la défiez ; vous ne pouvez empêcher la multiplication des insectes nuisibles, mais vous pressez par des moyens artificiels la végétation de vos turneps de manière à leur échapper. Vous avez inventé des races d’animaux qui vous permettent de faire un bœuf dans vingt mois et un mouton dans quinze ; vous avez appelé la vapeur à vous aider dans votre œuvre, et la vapeur vous a obéi ; en un mot vous avez ôté à l’agriculture son caractère empirique pour en faire la première des sciences et le premier des arts, ralliant sous une direction unique, dans une intime coopération, les travaux du chimiste, du physiologiste et du mécanicien. Oui, nous les cultivateurs d’Angleterre, plus contrariés qu’aucune autre industrie par la nature, accablés en outre de lourdes charges, nous avons par notre courage et notre persévérance élevé notre profession au premier rang ; nous avons fait de grands et généreux sacrifices au bien public, et après ces sacrifices, nous avons fait de plus grands progrès que ceux mêmes qui nous les avaient demandés ! »

Ces derniers mots résument parfaitement la situation actuelle des esprits en Angleterre, et notamment dans la classe agricole. Bien différens des Français, qui se plaignent toujours, les Anglais n’aiment pas à se plaindre ; ils ne se plaignent jamais longtemps. Habitués de temps immémorial à ne compter que sur eux-mêmes, ils sont mal à l’aise dans l’opposition. Leur système de gouvernement étant à leurs yeux le meilleur qui existe, quiconque est en définitive condamné par la majorité doit avoir tort, et une libre carrière étant ouverte à tous les efforts individuels, quiconque ne sait pas faire ses affaires doit être un maladroit. Ils tiennent donc à réussir dans ce qu’ils font, autant par amour-propre que par intérêt, et plus ils rencontrent d’obstacles devant eux, plus ils sont jaloux de les surmonter. Après l’abolition des corn laws, il y a eu parmi les agriculteurs un moment de découragement à peu près universel. Tant qu’on a cru possible de revenir sur la mesure, on a jeté les hauts cris ; mais dès qu’on a vu que c’était impossible, on a pris son parti, et peu à peu l’optimisme naturel est revenu. Vous rencontrez aujourd’hui nombre de gens qui vous disent que les corn laws ont fait le plus grand tort à l’agriculture nationale et que ses véritables progrès vont dater de leur abolition, ce qui est très exagéré sans doute, mais avec un fonds de vérité, au moins pour ce qui concerne l’avenir.

Dans ce pays, où la terre produit déjà en moyenne deux fois plus qu’en France, il est maintenant généralement reconnu qu’on peut doubler encore la production. Les cultivateurs eux-mêmes en conviennent. Le progrès n’est pas encore réalisé, mais on le sent, on le voit venir, on en possède tous les élémens ; cela suffit. L’agriculture reprend le haut ton et réclame de nouveau sa place, par la voix de lord Ashburton, à la tête des industries nationales. Noble et frappant spectacle assurément et qui fait le plus grand honneur à