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indignes ont décrédites ? Comment s’adresser encore à des hommes que le nom seul de philosophie effraie comme une menace ? Ne vaut-il pas mieux servir silencieusement le culte de la raison et attendre pour parler une occasion plus favorable ? Entretenons sans bruit le feu sacré ; un jour viendra, soyons-en sûrs, où l’esprit humain redemandera ce qu’il rejette aujourd’hui ; la recherche du vrai est immortelle. Ainsi raisonnent sans doute bien des esprits, et cette réserve se comprend aisément. S’il s’agissait de défendre les droits de la pensée contre ces hommes que toute lumière irrite, il n’y aurait, ajoutent-ils, aucun moyen de garder le silence ; mais non, ce n’est pas à des ennemis systématiques, c’est à des intelligences justement alarmées que nous avons affaire. Soumettre à une étude persévérante les dogmes des sciences morales et les mille problèmes qui s’y rattachent, n’est-ce pas, dans une société à peine rassise, renouveler les secousses de la veille ? L’ordre se rétablit, le bruit de la rue est apaisé, la démagogie est réduite à l’impuissance ; pourquoi remettre en circulation les idées et les formules dont les passions hier encore faisaient un si terrible usage ? — De telles craintes sont puériles et attestent une vue bien fausse de la situation présente. La meilleure façon de prouver que le désordre est vaincu, c’est de reprendre les nobles études qui sont la force et l’honneur des société ; prospères. Le mal qu’une science menteuse a fait, la vraie science peut seule le guérir. Des prédicateurs sans mission avaient endoctriné les peuples ; des philosophes indignes de ce titre avaient compromis ce qu’il y a de plus élevé dans le cœur et dans l’intelligence de l’homme ; n’est-il pas toujours temps de défendre le drapeau de la raison et de rebâtir en quelque sorte une forteresse inexpugnable, où la vérité, gardée par des esprits convaincus, ne sera plus défigurée par les sophistes et portée au milieu des troubles civils comme une arme incendiaire ? Quand le calme renaît, cette nécessité est plus impérieuse encore, et le silence n’a plus d’excuse. La restauration morale que nous avons déjà signalée dans le domaine de l’art ne serait qu’un résultat bien précaire, si l’on ne voyait pas le même mouvement transformer aussi les sciences philosophiques.

L’Allemagne « compris ainsi ses devoirs, Malgré le discrédit dont les jeunes hégéliens avaient frappé les spéculations de la pensée pure, elle est revenue avec réserve sans doute, mais avec les intentions les plus loyales, aux travaux qui ont toujours été la meilleure préoccupation de son esprit. On a même vu la force de la situation opérer naturellement entre les faux et les vrais philosophes une séparation décisive. Ceux qui cherchaient surtout dans les problèmes philosophiques un moyen de déchaîner les passions ont senti que le moment ne leur était pas propice. Les autres, animés seulement de l’amour du vrai, sentant d’ailleurs combien les désordres de ces derniers temps ont fait de ruines qu’il faut réparer et répandu de préjugés qu’il faut combattre, se sont mis patiemment à l’œuvre. Je ne dirai pas que de nouveaux systèmes aient été construits de toutes pièces : Kant, Fichte, Schelling, Hegel, n’ont pas eu de successeurs ; mais la conscience publique a travaillé, et un groupe, sinon une école de sages et ingénieux écrivains a porté ses efforts sur tous les points menacés. Ici, ce sont des disciples de Fichte ou de Hegel qui modifient dans un sens plus pratique les doctrines de leurs maîtres et s’appliquent surtout à fermer toutes les brèches par où un esprit anti-social avait pénétré dans ces