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dit-il, habite en nous, et nous apprend que nous sommes une même substance avec Dieu. Nous ne nous perdons pas pour cela dans l’abîme de l’infini, nous ne nous confondons pas avec la Divinité ; c’est notre conscience qui saisit la notion de l’immanence de Dieu en nous, et qui jouit dès ici-bas des célestes béatitudes. » M. Chalybœus, on le voit par ce passage, ne craint pas de se contredire. Après avoir recherché avec ardeur ce que Bossuet appelle si bien de fausses sublimités, il est obligé d’atténuer ces formules au point de ne plus laisser dans l’esprit aucune pensée Intelligible, Ainsi est faite l’imagination philosophique des Allemands ; ceux-là même qui se séparent le plus sincèrement du panthéisme ne peuvent renoncer aux séductions de l’abîme. Ce que l’Allemagne appelle la transcendance, c’est l’idée d’un Dieu extérieur et supérieur à l’homme, d’un Dieu personnel, d’un Dieu vivant, comme l’immanence représente l’idée du Dieu de Spinoza et de Hegel. Eh bien ! la doctrine de la transcendance (j’emploie le terme consacré) est tellement antipathique au génie allemand, ce système est tellement décrié, ce mot même est si bien considéré comme une insulte, que M. Chalybœus est entraîné à revendiquer le système contraire. Il attaque expressément le panthéisme, et il arbore le drapeau de l’immanence ! Rassurons-nous cependant : M. Chalybaeus a établi avec force le dogme de la liberté morale, il croit à la personnalité de Dieu et à la conscience de l’homme ; ces brillantes fusées de mysticisme sont un tribut payé aux vieilles erreurs dont l’Allemagne aura tant de peine à se débarrasser complètement.

Je ne suivrai pas l’auteur dans ses curieuses études sur la famille, l’état et la religion. Ces antiques problèmes de la morale sociale et religieuse sont rajeunis chez M. Chalybœus par l’esprit le plus ingénieux et les plus charmantes richesses de détail. On ne traite ordinairement ces grands sujets que comme des vérités abstraites ; M. Chalybœus se place au sein même de la vie ; il fait l’éducation de l’homme avec une paternelle tendresse, il le conduit d’un âge à l’autre et lui ouvre à chaque période un domaine nouveau du royaume de l’amour. Toutefois, que M. Chalybœus me permette de le lui dire, malgré le désir qu’il a de fonder la science sur la réalité, son système est plus souvent un tableau d’imagination qu’un manuel de moralité pratique. Je ne lui objecterai pas qu’un Pascal serait saisi d’effroi en voyant sa confiance dans la bonté native de l’homme, et que Montaigne applaudirait à ses gracieux chapitres sur la musique et la danse : je lui dirai simplement qu’il a écrit en maints endroits le poème, d’une humanité plus privilégiée que la nôtre. Le christianisme qu’il invoque sans cesse en de si nobles paroles, le christianisme qui est pour lui la solution de toutes les difficultés, la conclusion et la synthèse supérieure de tous les systèmes qui se sont disputé ; le cœur de l’homme, ce n’est pas encore, il faut qu’il le sache, le christianisme complet, ce n’est pas ce conseiller vigilant et austère qui connaît si bien les misères de notre nature. Si M. Chalybœus n’a voulu que nous montrer l’idéale figure du genre humain, comme semblerait l’indiquer le titre de son ouvrage, Ethique spéculative, il a réalisé son plan avec une rare élévation et une grâce attrayante. S’il a prétendu au contraire, comme cela résulte de maintes affirmations de son livre, subordonner la théorie à la pratique et la science à la sagesse, il n’a pas pris garde aux imprudences de ses