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d’une prison, où l’imagination s’exalte et tourne à la folie. En lisant le recueil de M. H. Fichte, nous sommes dans une capitale et nous allons d’un quartier à l’autre, étudiant l’activité humaine sous ses aspects multipliés. » Il y a, ce me semble, une singulière imprudence dans ces paroles. Sans doute, les bases d’une doctrine une fois bien établies, il est permis d’appeler à soi tous les esprits sérieux, quels que soient d’ailleurs les procédés particuliers de leurs méthodes. Prenez garde toutefois : si l’infatuation philosophique est un péril, il faut se défier aussi d’une complaisance banale. Les reformes sérieuses se font par des principes nettement arrêtés et vigoureusement défendus. Que veut M. Fichte ? Quel but poursuivent MM. Wirlh et Urici ? Ils veulent, si je ne m’exagère pas leurs intentions, relever le drapeau de la vraie philosophie, établir les premiers principes, les principes sauveurs, la liberté de Dieu et la liberté de l’homme ; ils veulent arracher l’Allemagne à l’obsession du panthéisme et faire rentrer dans le néant la bande noire des athées. Qu’ils le veuillent donc avec une fermeté plus résolue. Les préjugés sont encore bien puissans en Allemagne ; il y a bien des écrivains qui craignent de passer pour des intelligences timides et rétrogrades, s’ils ne proclament pas l’immanence de Dieu dans le monde. Nous avons vu tout à l’heure M. Chalybaeus associer aux doctrines les plus généreuses ces vieilles formules d’une école qu’il maudit. Combien d’âmes qui renient ainsi leur Dieu, et que le troisième chant du coq ne rappelle pas à elles-mêmes ! Il faudrait un maître résolu, un Descartes, un Leibnitz, pour rallier ces disciples pusillanimes. Que des philosophes issus d’écoles différentes se réunissent sur le terrain de M. Hermann Fichte et mettent en commun leurs efforts, rien de mieux assurément ; que M. Drobisch y défende le système de Herbart contre M. Trendelenhurg, professeur à l’université de Berlin, il n’y a rien là qui nuise à l’unité de ce groupe ; mais comment comprendre que M. Michèlet (de Berlin) puisse, à côté de M. Hermann Fichte, à côté de M. Wirth, attaquer, comme une croyance puérile, le dogme d’un Dieu personnel et libre ? « Nous parcourons, dit M. Fortlage, la grande ville de la science, et nous allons d’un quartier à l’autre pour y suivre le tableau varié de la vie. » Il est des quartiers où M. Fichte fera bien de ne pas nous conduire ; sinon, au lieu de diriger un mouvement salutaire, il ne sera que le représentant d’un dilettantisme frivole, et cette réforme, dont il comprend l’urgence, cette réforme qu’il est si digne de diriger, que l’Allemagne appelle du fond de sa détresse) ne devra plus compter sur ses travaux.


II

Il y a une branche de la philosophie qui ne fleurit guère en France, c’est la philosophie religieuse. Depuis que Descartes a séparé le domaine de la raison du domaine de la foi, la philosophie proprement dite s’est presque toujours abstenue d’étudier les hautes questions théologiques. Ces hardiesses de la pensée n’ont été possibles chez nous qu’aux époques de foi positive et ardente, et les témérités des docteurs de la scholastique forment un singulier contraste avec la circonspection de la science moderne. Un jour viendra-t- il où l’ordre des vérités naturelles et l’ordre des vérités surnaturelles seront considérés comme les deux parties d’un même domaine ? Verrons-nous