Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

zèle si pieux et la pureté d’une vie irréprochable. Il écrivait un jour à un ami : « La science doit se transformer pour nous en religion ; c’est elle qui doit élever et purifier nos âmes. Oh ! quel plaisir j’aurais fait à mes ennemis de Calw, si j’eusse été un homme sans mœurs ! Le jour où tous ceux qui partagent nos principes montreront une pure noblesse morale, ce jour-là seulement notre cause sera gagnée. Au contraire, tant que notre foi philosophique ne sera pas devenue une force réelle et féconde en vertus, elle n’aura aucune action à revendiquer sur le monde, et le vieux principe tiendra toujours le limon du navire. » On voit qu’il y a tout un abîme entre Maerklin et les jeunes hégéliens. Ce n’étaient pas là de vaines paroles ; la vie de l’ancien diacre de Calw était toute consacrée à la pratique du bien, et chaque fois qu’il voyait un des panthéistes de son école se signaler par ses désordres, il en ressentait une affliction amère.

Le professeur de Heilbronn éprouva surtout bien des douleurs de ce genre pendant la tumultueuse période qui suivit les révolutions de 1848. M. Strauss, qui eut tant à souffrir lui-même des démagogues, nous donne sur le rôle de Maerklin à cette époque les détails les plus intéressans. Dès la fin de mars, Maerklin écrivait à un de ses amis : « En toute chose ici-bas, il y a au début une belle et virginale période ; puis la débauche commence, et tout est perdu. Que les premières semaines ont été sublimes ! A présent le ciel est couvert de ténèbres. Il est difficile, au milieu de tels désordres, de conserver sa loi en la grande idée qui devait être l’âme des mouvemens populaires. Si l’Europe est mûre pour la liberté civile, pour le développement des nationalités et la libre expansion des forces individuelles, c’est ce qu’un avenir prochain nous montrera. En Allemagne, ce grand bouleversement a trouvé le peuple par trop grossier, et, je le prévois, ce sera pour nous la cause de bien des malheurs. N’importe, advienne que pourra ! Nous devons nous incliner devant la nécessité du mouvement historique. L’ancien ordre de choses était vermoulu ; quiconque pense ne saurait le regretter. Il ne nous reste plus qu’à attendre l’avenir tranquillement, courageusement, toujours prêts à sacrifier notre bonheur et nos préférences personnelles. » Ces stoïques dispositions de Maerklin furent mises bientôt à de rudes épreuves. Candidat au parlement de Francfort, descendu dans l’arène au milieu des passions déchaînées, l’austère païen fut exposé dans sa personne et dans sa réputation aux plus odieuses fureurs de la populace, Heilbroun était le centre de la démagogie du Wurtemberg. M. Strauss nous peint avec une dramatique habileté ces scènes révolutionnaires où triomphaient la violence et l’ineptie. Il y avait là surtout un certain brasseur, — espèce, de Robert Blum au petit pied, dit M. Strauss, qui représentait, à côté de Maerklin, la stupidité en face de l’intelligence et la passion brutale en face de la démocratie honnête. — Ce sont surtout les expériences de Maerklin qui offrent de curieuses leçons. Maerklin s’était déclaré sans détour en faveur de la monarchie constitutionnelle ; c’était le moment où MM. Hacker et Struve agitaient le pays de Bade, c’était l’heure glorieuse où les corps francs du poète Herwegh venaient d’entrer en campagne ; on devine quelles avanies furent infligées au candidat. Quelques semaines après, il écrivait à M. Strauss : « Je pressens que nous devrons traverser encore une révolution sanglante. Si le ciel nous accorde jamais