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et ses angoisses au moment de quitter la communauté chrétienne ! En vain s’écrie-t-il avec son héros : Soyons païens de tout notre cœur ! il est grave, il est ému, et son intelligence attristée ne peut se détourner de ces sublimes problèmes. Cette disposition nous suffit ; nous n’en demandons pas plus pour absoudre le stoïcien. Si tristes que soient les conclusions de ce livre, la Vie de Maerklin, comme les Deux Feuilles pacifiques, comme les Discours théologiques aux paysans du Wurtemberg et la Vie de Schubart nous révèlent chez M. Strauss une âme préoccupée des questions vitales de l’homme, une âme généreuse et vaillante, qui est bien loin d’avoir dit son dernier mot.

Ce que je dis là de M. le docteur Strauss, on peut le dire des lettres allemandes en général. Ces problèmes religieux étudiés soit dans l’histoire, soit dans la philosophie, intéressent de nouveau les intelligences ; n’est-ce pas un signe manifeste que l’Allemagne est rendue à elle-même ? Encore une fois, je ne parle pas des théologiens de profession. Tandis que l’excellent recueil des Studien und Critiken, sous la direction de MM. Ullmann et Umbreit, maintient avec un zèle croissant l’école de Schleiermacher, les domaines plus spécialement littéraires et philosophiques s’enrichissent de sérieuses études. C’est un historien littéraire, M. Gelzer, qui écrit une biographie de Luther, remarquable avant tout par le sentiment qui l’anime ; c’est M. Frédéric Hurter, qui consacre trois doctes volumes à l’empereur d’Autriche Ferdinand II, et à ses rapports avec la révolution religieuse ; c’est M. Heimbürger qui met en lumière, grâce à des documens inédits, les travaux d’un théologien ignoré, Urbanus Rhegius, et peint dans ce bizarre personnage une des plus curieuses figures de la réforme. C’est un diplomate célèbre, M. le chevalier de Bünsen, qui, trouvant dans des manuscrits récemment découverts les renseignemens les plus inattendus sur la vie d’un saint de la primitive église, mêle un grave intérêt dogmatique aux piquantes révélations de l’histoire, et développe son système sur les relations de la raison et de la foi.

En face de ces recherches historiques, citons aussi l’édition complète des mystiques écrits de Baader, publiée par ses disciples avec un zèle tout filial, et un recueil de lettres de Schleiermacher dû aux soins de ; M. Gass. N’oublions pas de mentionner les leçons enthousiastes qu’un ancien disciple de Hegel, M. Goeschel, vient de faire à Berlin sur la Divine. Comédie. M. Goeschel ne s’est jamais séparé du christianisme ; la philosophie hégélienne, dans les libres interprétations de cet affectueux esprit, était une préparation à l’intelligence des dogmes révélés ; on comprendra que le brillant songeur soit plus à son aise aujourd’hui qu’il expose la philosophie du christianisme d’après les Cantiques de Dante. Les leçons de M. Goeschel ont été un événement à Berlin, et le roi de Prusse les a honorées de sa présence. Il faut signaler enfin une Histoire de la philosophie depuis Kant, par M. Fortlage, histoire savante et bien composée, mais intéressante surtout par les conclusions. M. Fortlage proclame que le vrai, le seul progrès social, est dans la vie religieuse, et il propose, comme un idéal à notre XIXe siècle, cette institution des frères moraves, fondée il y a cent ans par l’enthousiaste comte Zinzendorf. M. Fortlage exprime une idée, plus claire et plus pratique lorsqu’il conseille à la philosophie d’emprunter aux frères moraves le sentiment humble et pieux de la dépendance de l’homme, et de mettre fin au panthéisme. »