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les ministres de l’ancien régime, Buchot livra à un gouvernement étranger un titre contre un particulier qui, en vertu de ce titre même, n’était comptable qu’envers le gouvernement français.

Dès ce moment, la créance de Beaumarchais subit une nouvelle série de difficultés. Le congrès lui dit : — Par un contrat passé entre nous et le gouvernement français le 26 février 1783, le gouvernement déclare qu’il nous abandonne gratuitement neuf millions. Nous n’en avons reçu que huit, c’est vous qui avez reçu le neuvième ! Prouvez-nous que ce million, reçu par vous le 10 juin 1776, n’est pas celui qui nous était destiné, sinon nous le retiendrons sur votre créance. — Beaumarchais répond au congrès : « Je demande qu’il me soit donné acte de la déclaration la plus précise que je fais, que jamais je n’ai reçu du roi Louis XVI, de ses ministres, ni de personne au monde, ni un million, ni même un seul shilling pour vous être offerts en présent ; — que tout l’or que j’ai employé pour vous servir, en ami bien zélé, en loyal négociant, et au seul titre d’un commerce équitable, n’a été rassemblé par moi, tant en France qu’en d’autres états de l’Europe, qu’à titre d’association d’emprunt ou de circulation ; — que tous mes créanciers, moins patiens envers moi que je n’ai dû l’être envers vous, ne m’ont pas laissé vingt années sans exiger leur compte et leur acquittement, et que s’il m’en restait quelques-uns à solder, question qui vous est étrangère en qualité de débiteurs, ce ne serait qu’une obligation de plus pour vous de me mettre en état de le faire en vous acquittant envers moi. Quant au contrat de 1783, dont vous m’apprenez l’existence et que j’ai toujours ignoré, je déclare que ce contrat, où je n’ai pas été appelé ni par vous, ni par les ministres de France, m’est absolument étranger, sous quelque point de vue qu’on l’envisage, par cela seul que je n’y ai point été appelé, ce qui était indispensable, si vous deviez, après douze ans, essayer de vous en faire un titre pour éluder ou éloigner mon paiement, après avoir épuisé tous les autres[1]. »

Tel est le débat interminable dans lequel Beaumarchais consuma les dernières années de sa vie. Dans cette période de la lutte, sa destinée était fort assombrie. Il était proscrit, réfugié à Hambourg, il se croyait complètement ruiné en France ; il ne voyait pour sa fille unique d’autre ressource d’avenir que cette créance américaine, et il s’y cramponnait avec l’énergie du désespoir. De son grenier à Hambourg, il adressait des volumes au congrès, aux ministres des États-Unis, même au peuple américain tout entier. Un de ces mémoires inédits, écrit d’une main lourde et fatiguée, m’a frappé par une péroraison où, à travers la pesanteur de la vieillesse, on retrouve quelque chose

  1. Extrait d’un mémoire inédit de Beaumarchais du 10 avril 1795.