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secourue si à propos et que vous me réclamez en vain depuis tant d’années ? Je crois que vous avez reçu cet argent pour m’en faire cadeau. Votre gouvernement m’a adressé à ce sujet, entre 1778 et 1783, deux déclarations, dont l’une affirme positivement que je dois vous payer toutes vos fournitures, et dont l’autre me porte à penser qu’on a voulu me faire cadeau d’un million sur ces mêmes fournitures. Depuis cette époque, votre gouvernement déclare sans relâche qu’il n’a rien de commun avec vos opérations commerciales, et que je dois vous solder intégralement ; mais, comme je soupçonne qu’il y a là-dessous un mystère de cabinet, j’aime mieux admettre que les secours que vous m’avez fournis devaient être gratuits, et que je ne dois les payer ni à votre gouvernement, qui n’en réclame pas le paiement, ni à vous, qui le réclamez avec son adhésion. »

Telle était évidemment la situation faite au gouvernement des États-Unis par la déclaration formelle du duc de Richelieu en 1816. Ce gouvernement n’en persista pas moins à repousser la créance, et malgré l’opinion favorable de plusieurs légistes éminens de l’Amérique, malgré la présence de la fille de Beaumarchais, qui en 1824 vint, accompagnée d’un de ses fils, solliciter en personne le congrès, à chaque reprise du débat il se trouva une majorité inflexible pour écarter la réclamation. En 1835 seulement, lorsque se présenta pour la seconde fois la fameuse affaire des 25 millions, et lorsque les procédés un peu violens du président Jackson nous eurent appris que le gouvernement américain était un créancier moins patient que nous, l’on songea à faire entrer la créance des héritiers Beaumarchais dans les compensations réclamées au nom de la France ; mais cette créance fut singulièrement réduite. Depuis trente-six ans, la famille de l’auteur du Barbier de Séville réclamait au moins les 2,400,000 francs stipulés dans le rapport de M. Hamilton en 1793 ; on lui donna à choisir en 1835 entre huit cent mille francs ou rien : elle préféra 800,000 fr., et ce long et difficile procès entre Beaumarchais et les États-Unis fut enfin terminé, comme se terminent beaucoup de procès, par une cote très mal taillée.

Je me suis attaché à l’exposer avec une entière impartialité. Je pense avoir prouvé que l’accusation dirigée contre Beaumarchais en Amérique d’avoir trompé le gouvernement français en lui faisant croire qu’il envoyait gratis au congrès des fournitures dont il exigeait le paiement est complètement fausse, lui admettant même que la chose fût possible, ce qui n’est pas, il est évident, et par les lettres de M. de Vergennes, et par celles de Beaumarchais, et par les explications demandées à diverses reprises au ministre de la part du congrès, que dès le commencement jusqu’à la fin de l’opération le ministre fut constamment au courant des prétentions de Beaumarchais, et que,