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prennent de vous ; mais si vous manquez tous de résolution pour notre terrible régime, revenez à nous, car il n’y a pas de temps à perdre. Souffrons quelques jours pour sauver l’édifice entier, et n’attendons pas que le danger soit plus pressant : c’est le vœu et l’ardent désir de votre ami.

« Caron de Beaumarchais. »


La sollicitude de Beaumarchais ne put sauver le jeune Francy, il mourut peu de temps après avoir reçu cette lettre, et son testament, que j’ai sous les yeux, contient un article qui, rapproché du passage déjà cité du testament de Julie, est un titre de plus en faveur de l’homme ainsi jugé par ses amis mourans. Après avoir distribué à sa famille la fortune assez considérable qu’il avait gagnée au service de son patron, Francy termine par ces lignes : « Je nomme, pour exécuter mon testament, M. Caron de Beaumarchais, mon ami ; les obligations que je lui ai ne me permettent de lui faire aucun legs, bien persuadé qu’il se portera à me rendre ce dernier service. » Il me semble qu’il y a quelque chose de flatteur pour Beaumarchais dans cette manière de motiver l’absence de legs en sa faveur et ce dernier service qu’on attend de lui.

Pour compléter le tableau de la vie de Beaumarchais à cette époque, il faudrait le montrer après la désastreuse bataille navale où le comte de Grasse perdit en 1782 la plus magnifique de nos flottes, s’enflammant d’un beau zèle au milieu de la consternation générale, envoyant dans tous les cafés de Paris des hommes qui crient : Souscription ! souscription ! et qui proposent de remplacer ainsi les vaisseaux perdus, écrivant à toutes les chambres de commerce du royaume, leur adressant à chacune 100 louis et les pressant d’adopter son idée. Bientôt cette idée se répand comme une traînée de poudre : chaque ville, chaque corporation offre un vaisseau, et le désastre éprouvé par notre marine est réparé avec une rapidité merveilleuse. Beaumarchais court lui-même dans toutes nos villes maritimes pour activer et échauffer ce mouvement patriotique. M. de Vergennes lui écrit : « Comme ministre je n’ai pas le droit d’approuver, mais comme citoyen j’applaudis de tout mon cœur au sentiment énergique que vous communiquez à vos compatriotes… Quelque succès que puisse avoir votre démarche, elle n’en fait pas moins d’honneur à votre zèle, et c’est avec bien de la satisfaction que je vous en fais mon compliment. » L’amiral d’Estaing, qui s’est rendu avec Beaumarchais à Bordeaux, enchanté de la coopération de l’auteur du Barbier de Séville, lui écrit de son côté dans son style toujours un peu facétieux : « Lorsque le cerveau de feu Jupiter accoucha de la belligérante Minerve, il lui fallut certainement une accoucheuse comme vous. » Et Beaumarchais, continuant la métaphore, répond à l’amiral : « Votre sage-femme, comme vous m’appelez, n’eût fait