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essaierons de dessiner, d’après eux, le portrait de ce prince, qui a, pendant quelques années, occupé L’Europe, qui joua tour à tour des rôles différens, exalté un jour par l’opposition et adopté plus tard par les légitimistes, comme le dernier défenseur de leurs principes. Il avait reçu de sa mère une éducation sévère, et d’instituteurs éminens une instruction développée ; sa mémoire prodigieuse avait retenu les connaissances acquises dans sa jeunesse. Malheureusement il n’y avait rien ajouté ; ses goûts ne le portaient point vers l’étude et la lecture, encore moins vers la littérature et les beaux-arts, qu’il considérait comme des futilités au moins inutiles ; il avait beaucoup d’esprit, plus encore de finesse, mais sans largeur ni élévation. Son jugement, peu étendu, était ordinairement sain et d’une extrême promptitude. Il pratiquait la justice, attaché à ses devoirs de roi comme il les avait compris ; aucune distraction, aucun goût plus ou moins futile ne l’en détournait un moment. Son économie parcimonieuse descendait aux moindres détails. Il pouvait faire ou laisser faire de grandes dépenses, mais il n’avait ni générosité naturelle, ni délicatesse dans sa manière de donner, et quand il ouvrait sa bourse, c’était plus par calcul, par devoir de religion ou intérêt de position que par inclination ou par le charme attaché à l’idée de faire des heureux. Quoiqu’il ne montrât pas de reconnaissance pour les services qui lui étaient rendus, il savait pourtant les apprécier, peut-être au-dessous de leur valeur réelle ; mais il ne les oubliait pas toujours. S’il n’accordait point sa confiance, s’il appréciait mal le dévouement de ceux qui l’entouraient, il ne refusait pas son estime à la bonne conduite passée. Cependant il était dépourvu de sensibilité et exclusivement préoccupé de sa personne, défaut ordinaire des hommes qui exercent le commandement ; il en avait aussi l’habitude de la défiance que donne l’expérience du monde, surtout à ceux dont la vie a été marquée par de nombreuses et éclatantes vicissitudes. On pouvait lui reprocher de faire trop de choses différentes, et par suite quelques-unes moins bien ; il s’occupait en effet de toutes les affaires et voulait tout voir par lui-même. « C’était chose curieuse, dit M. de Grovestins après avoir rempli pendant deux ans les fonctions de secrétaire du cabinet, de voir la manière dont le roi Guillaume gouvernait son royaume pendant les cinq mois qu’il passait au Loo, sans y amener un seul de ses ministres, retenus à La Haye pour y piocher comme des commis. C’était un va-et-vient perpétuel de paperasses entre La Haye et le Loo, et l’on serait presque tenté de dire que celui qui jouait le rôle le plus important dans ce bizarre mode de gouvernement était le courrier qui le matin apportait ces montagnes de papiers au Loo, et qui les l’emportait le soir à La Haye. » Il ne savait donc pas résister, comme